SENEGAL-EDUCATION-REPORTAGE
Dakar, 5 oct (APS)- Le centre Talibou Dabo, logé au cœur du quartier populaire de Grand Yoff, à Dakar, se débat au quotidien pour offrir à ces pensionnaires, des enfants handicapés, un cursus scolaire normal pouvant leur ouvrir les portes de la vie active. Cet engagement, noble parce qu’il contribue à une meilleure inclusion scolaire, n’est pas toujours de ‘’tout repos’’.
Au-delà des initiatives et des discours, la quête d’un système éducatif plus inclusif au Sénégal se révèle être un véritable parcours du combattant pour de nombreux élèves aux besoins spécifiques, confrontés très souvent à la limitation des infrastructures d’accueil et à l’inadéquation du système d’apprentissage relativement à leur type de handicap.
Une fois le portail principal de l’établissement franchi, une ruelle bordée de part et d’autre de fleurs mène le visiteur d’abord au poste d’accueil et d’orientation, puis aux bâtiments en demi-cercle, au milieu d’une grande cour.
Il y a ensuite le bâtiment abritant le bloc rééducation et réadaptation, celui les classes de l’école élémentaire, avant le bloc administratif et l’espace réservé à l’école maternelle orné de couleurs vives et chatoyantes.
Au milieu de la grande cour, se dresse une grande case, des bancs tout autour et une aire de jeux pour les moments de détente des enfants et du personnel. Un espace vert bien entretenu entre les bâtiments et de part et d’ autre, des allées piétonnes, donne au centre un visage jovial.
Au centre Talibou Dabo de Grand Yoff, symbole depuis plusieurs décennies de la volonté d’inclusion des autorités éducatives, les enfants atteints de ‘’troubles subtils d’apprentissage’’ sont pris en charge jusqu’à l’obtention du Certificat de fin d’études élémentaires et l’Entrée en sixième.
‘’A la fin de ce cycle, où il y a certaines dispositions prises pour l’adaptation pédagogique des petits apprenants, avec un personnel enseignant qualifié. On les gère jusqu’à l’entrée en sixième et ils passent les examens sans complaisance’’, explique à l’APS le directeur du centre, Aloïse Benoit Baba Diouf.

Mais par la suite, quand les pensionnaires du centre se retrouvent au collège avec plusieurs enseignants qui n’ont pas forcément le souci de certaines adaptations pédagogiques, ‘’ils ont des difficultés’’, note-t-il.
Le centre Talibou Dabo avait bien inauguré un collège d’enseignement moyen en 2005, puis un lycée six ans plus tard, en 2011, pour offrir un cycle complet à ses pensionnaires.
Un modèle d’inclusion était proposé, avec un cycle préscolaire où se côtoient élèves handicapés et valides, un cycle élémentaire entièrement réservés aux handicapés et un CEM également mixte.
Les élèves qui obtenaient leur entrée en sixième étaient assurés de ‘’trouver une place et de continuer au sein de l’établissement’’.
Mais en 2018, le CEM et le lycée ont été délocalisés complétement du centre, pour devenir le lycée Grand-Yoff, qui se trouvent désormais ‘’accaparé’’ par les populations de ce quartier populaire et des environs. Sans compter que les enseignants exerçant dans l’établissement ne sont pas toujours qualifiés pour la prise en compte des enfants à besoins éducatifs spécifiques, selon Aloïse Benoit Baba Diouf.
Des résultats ‘’très satisfaisants’’ au CFEE
Grand Yoff ne disposant pas de lycée, le centre Talibou Dabo est devenu le lycée de Grand-Yoff, a-t-il fait observer, fataliste, en déplorant qu’en termes d’accessibilité géographique, le lycée de Grand-Yoff ne répond pas aux normes d’inclusion.
A sa création en 1981, le centre avait pour objectif la prise en charge des enfants handicapés avec des textes réglementaires, un quota pour les enfants handicapés par rapport au nombre d’enfants valides, mais la demande étant trop forte, ces textes n’ont pas été respectés.
Pour une meilleure prise en charge, ‘’il faut que l’environnement scolaire soit inclusif’’, notamment l’infrastructure qui doit comporter des rampes d’accès pour les handicapés moteurs, explique le directeur du centre Talibou Dabo.
Il faut aussi un enseignement en braille pour les déficients visuels, pour permettre à tous les élèves de suivre les enseignements apprentissages.
Le centre est certes dans la dynamique de l’éducation inclusive, mais n’en demeure pas moins un établissement spécialisé, avec des apprenants qui ont différents types de handicap et des besoins spécifiques pour leur prise en charge.

Il rappelle que l’éducation inclusive est considérée comme une approche pédagogique visant à faire bénéficier de l’enseignement scolaire tous les élèves, dans un environnement d’apprentissage adapté, quels que soient leur handicap et leurs besoins spécifiques.
Il s’agit d’une éducation qui cherche à adapter les enseignements, les ressources et les infrastructures aux besoins de l’élève handicapé qui côtoie d’autres camarades de classe. Aussi a-t-il appelé à une décentralisation des services et à une meilleure prise en charge des enfants en situation de handicap dans toutes les écoles.
‘’La demande en éducation spécialisée est croissante et il faut adapter notre système éducatif en créant d’autres centres spécialisés dans les régions et surtout assurer l’équité éducative. L’école doit être un droit pour tous’’, plaide Aloïse Benoit Baba Diouf.
Il suggère l’utilisation des technologies d’assistance en vue de parvenir à une meilleure prise en charge des élèves en situation de handicap dans les écoles classiques.
De même souligne-t-il la nécessité de mettre ces technologies d’assistance à la disposition de toutes ces couches vulnérables sur prescription suivant les besoins pour tirer le maximum du potentiel de l’enfant.
‘’Nous sommes sur la bonne voie et on sent qu’il y a une volonté politique parce que je ne me rappelle pas qu’il y ait eu autant de plaidoyers pour les enfants handicapés. Depuis quelque temps, les gens prennent la pleine mesure de leurs droits car toutes les demandes de ces enfants et de leurs parents sont légitimes’’, dit-il.
Le cycle élémentaire du centre Talibou Dabo, exclusivement réservé aux enfants à mobilité réduite, donne des résultats ‘’très satisfaisants avec 100% [de réussite] au CFEE’’, l’examen pour l’obtention du Certificat de fin d’études élémentaires, explique Abdoulaye Mbow, enseignant spécialisé exerçant dans l’établissement depuis 2001.

Malheureusement, relève M. Mbow, ”sur 20 élèves qui réussissent à cet examen, 2 ou 3 parviennent à poursuivre les études jusqu’au BEFM [Brevet de fin d’études moyennes] et 1 seulement arrive en terminale”.
Il laisse entendre que tous les autres se retrouvent peut-être dans la rue ou ne sont pas intégrés dans les écoles en raison de l’inexistence de collèges ou lycées adaptés à leurs conditions.
Selon M. Mbow, le souci réside également dans le fait que les enfants ne peuvent pas suivre les programmes des établissements classiques à cause du rythme de travail inadapté à leur situation.
”On demande des résultats aux enseignants, aux professeurs mais ils n’ont pas le temps d’attendre un enfant qui fait 15 à 20 minutes pour écrire une phrase”, dit-il, en guise d’exemple.
Pour ce lauréat du Grand Prix du chef de l’Etat pour l’enseignant en 2017, ”il y a des préalables pour une inclusion réussie en termes notamment de formation des professeurs, de préparation du site d’accueil, de programme à réviser et de matériel didactique à mettre à la disposition des enfants en situation de handicap pour leur permettre de progresser”.
Ndèye Khady Mbaye, Arame Nguette des exemples de résilience, ‘’fiertés’’ pour Talibou Dabo
De ces conditions difficiles peuvent pourtant émerger des exemples de réussite. C’est le cas de Ndèye Khady Mbaye, une personne handicapée

Après avoir décroché une maitrise en anglais à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle est allée poursuivre ses études aux Etats Unies d’Amérique ou elle a obtenu un diplôme en éducation spécialisée.
Elle occupe désormais le poste de coordinatrice des projets pédagogiques et thérapeutiques au centre Talibou Dabo.
A la porte de son bureau, une vingtaine d’enfants avec différents handicaps attendent d’être consultés, accompagnés de leurs parents, en vue d’une éventuelle admission au sein du centre.
‘’J’ai fait des études dans des écoles inclusives au Sénégal mais il y avait beaucoup d’obstacles, surtout sur le plan architectural. Lorsqu’on traîne un handicap physique et que l’environnement n’est pas accueillant, l’élève est doublement handicapé’’, soutient-elle, assise sur un fauteuil roulant installé derrière son bureau.

‘’On nous parle d’inclusion dans un environnement hostile, dans des classes qui se trouvent à l’étage où les portes ne répondent pas aux normes et où les tables-bancs ne sont pas adaptés. Ces obstacles peuvent entraver la réussite’’, souligne Ndèye Khady Mbaye, exemple vivant de ce parcours de combattant pour sortir la tête de l’eau.
Elle propose ainsi aux autorités d’étudier d’abord ‘’la classification des handicaps’’, puisque dans le lot des enfants à besoins spécifiques ou spéciaux, selon les experts en sciences de l’éducation, ‘’il y a des personnes handicapées physiques sans déficit cognitif, d’autres avec une déficience sur le plan cognitif’’.
Et Ndèye Khady Mbaye de s’interroger: sur cette base, ces enfants doivent-ils bénéficier de la même offre éducative ?
Arame Nguette, étudiante en master 2 à l’Institut africain de management (IAM), spécialité chaîne d’approvisionnement et management, a eu chance d’avoir fait tout son cursus jusqu’au baccalauréat au centre Talibou Dabo.

‘’Dans l’ensemble, je dirais que ça s’est bien passé parce que nous avons eu la chance d’avoir été encadrés par des professionnels, des enseignants spécialisés. Après le baccalauréat, j’ai dû me réadapter à la nouvelle situation, dans une école classique’’, a-t-elle expliqué.
Arame raconte que sa première difficulté a été de s’adapter au rythme plutôt rapide à l’IAM. Elle en conclut qu’une réflexion doit être nécessairement menée sur les méthodes d’apprentissage et la formation des professeurs à l’inclusion.
Par exemple, relève-t-elle, à l’ère du numérique et du développement des technologies quand les professeurs donnent des cours, ils pourraient préparer en même temps des documents sous format électronique, ‘’ce serait beaucoup plus facile pour nous’’.
Le transport des élèves, “déterminant essentiel d’inclusion”
Confrontés à un problème de mobilité du fait de leur handicap, les élèves du centre Talibou Dabo disposent de bus de transport certes, mais ces véhicules ont ‘’fait leur temps’’.
Le directeur du centre considère que le problème du transport de ses pensionnaires, la plupart handicapés moteurs, constitue un déterminant de l’inclusion.
Si un bus doit faire toute la banlieue pour arriver à l’école avec 30 minutes ou 1h de retard, ce n’est pas gérable, fait-il observer.
‘’Il faut améliorer l’offre de services du centre Talibou Dabo, surtout en termes de logistique de transport, pour que les élèves du lycée puissent être à l’heure’’, a-t-il plaidé.
La disponibilité de moyens de transport pour faciliter leur mobilité, est un facteur important de l’inclusion et conditionne la poursuite de leurs études et de meilleurs résultats, ces enfants étant pour la plupart du temps issus de familles modestes, rappelle Aloïse Benoit Baba Diouf.
Pour le président de l’association des parents d’élèves en situation de handicap, Amadou Lamine Mar, les difficultés liées au transport constituent un grand obstacle, qui fait que la plupart des élèves aux besoins spécifiques, issus de familles démunies, ne peuvent pas se rendre à l’école.

‘’Nous avons sollicité beaucoup de ministères pour avoir des bus de transport mais nous n’avons toujours pas eu de retour’’, a-t-il indiqué.
Il souligne que dans des zones de Dakar comme les Maristes ou Scat Urbam, les pensionnaires du centre Talibou Dabo n’ont pratiquement pas étudié toute l’année scolaire à cause des difficultés liés au transport.
‘’Du fait du nombre insuffisant de bus, celui qui prend mon enfant fait parfois 3 h de ramassage avant d’arriver à l’école. Il passe par Guédiawaye, Keur Massar et Grand Mbao, ce qui fait que l’enfant doit être prêt à 5h du matin’’, selon M. Mar.
Assis à même le sol dans le salon familial, Sourakhata Dramé est un enfant handicapé physique. Pour les besoins de l’entretien qu’il a eu avec l’APS, il s’est fait porter par sa sœur qui le dépose sur le canapé du salon.
”J’ai eu mon entrée en sixième en 2023 au centre Talibou Dabo et j’ai été ensuite orienté au CEM de Grand Yoff, mais j’ai dû reprendre la classe du fait des difficultés d’adaptation dans une école classique’’, confie le jeune élève.
Il explique la première difficulté, c’est que le chemin de l’école est sablonneux et ‘’avec nos fauteuils roulants, nous rencontrons des difficultés énormes pour accéder au collège”.
”On est obligé de demander de l’aide aux passants ou de faire appel aux personnes qui jouent au niveau du terrain de football à côté du collège pour qu’ils nous poussent avec le fauteuil jusque dans l’école”, témoigne-t-il.

En plus, dit Sourakhata confirmant sur ce point les propos du président de l’association des parents d’élèves en situation de handicap, le bus de ramassage fait un très grand tour, pour arriver entre 9h et 10h à l’école, alors les cours commencent à 8 heures. Un retard que les professeurs n’ont pas le temps de rattraper, ajoute l’enfant. Il trouve aussi le rythme d’apprentissage trop rapide.
‘’On a du mal à suivre et les professeurs ne nous donnent pas les fascicules des leçons quand on les leur demande. En plus, en matière d’hygiène, les toilettes du collège ne sont pas adaptées à notre situation’’, déplore-t-il.
Il attend ainsi des autorités le pavage de la voie d’accès au centre pour faciliter la mobilité des chaises roulantes.
Au Sénégal, en dépit des efforts consentis par les autorités, les défis à relever demeurent encore nombreux pour un système éducatif plus inclusif, condition essentielle pour garantir l’égalité des chances et la réussite de tous les élèves, y compris ceux à besoins spécifiques.
AFD/ADL/BK/SBS
