SENEGAL-LITTERATURE-EXAMENS
Tivaouane, 28 juil (APS) – L’écrivaine Fatoumata Ngom a déclaré que le choix porté sur un extrait de son roman “Le silence du totem”, comme support à l’épreuve de dictée de la session 2025 du Brevet de fin d’études moyennes (BFEM), était une marque de “reconnaissance institutionnelle” et un ”geste symbolique fort” à l’endroit de la littérature nationale.
Le ministère sénégalais de l’Éducation nationale a retenu un passage du roman “Le silence du totem”, de Fatoumata Ngom, comme support à l’épreuve de dictée de la session du BFEM de cette année.
Une décision saluée par l’écrivaine comme une marque de “reconnaissance institutionnelle”, mais aussi un “geste symbolique fort en faveur de la littérature nationale”.
Alors qu’elle était dans un restaurant, son téléphone sonna. C’était son ancienne professeure de latin, qui lui apprenait la nouvelle.
“J’ai poussé un cri dans le restaurant où je me trouvais”, raconte-t-elle. Un instant plus tard, une cousine l’appelle : sa fille, candidate au BFEM, avait reconnu le texte au moment de la dictée et souhaite, avec ses camarades, entrer en contact avec l’auteure. Un appel vidéo est alors organisé. “C’était un moment bouleversant”, confie-t-elle.
”Une décision politique et pédagogique forte”
Fatoumata Ngom dit avoir reçu de nombreux messages d’anciens enseignants, saluant ce moment comme un tournant dans son parcours.
“Le BFEM est un jalon important dans la vie scolaire des élèves. Savoir que mes mots ont été entendus par des milliers de collégiens me remplit de joie et de responsabilité”, confie-t-elle.
L’écrivaine voit dans ce choix une “décision politique et pédagogique forte”. “L’école, dit-elle, est un lieu de construction de la pensée. Les textes proposés doivent résonner avec l’époque, la mémoire collective et les défis du présent.”
Elle rappelle le rôle éducatif de la littérature, capable, selon elle, d’ “éveiller les consciences, de réparer les blessures et de transmettre l’histoire”.
Publié en avril 2018, aux éditions L’Hamattan, “Le silence du totem” aborde le thème de la restitution du patrimoine africain, à travers une intrigue mêlant histoire, spiritualité et engagement.
Le roman met en scène la spoliation d’un totem sérère par un explorateur colonial et son retour à la communauté d’origine, Khalambasse.
“Ce n’est pas qu’un objet qu’on rend, c’est une mémoire qu’on restaure”, affirme l’écrivaine. Pour elle, restituer un objet sacré à une communauté, c’est “[lui] rendre une part d’elle-même, qui lui a été arrachée. C’est réparer une blessure invisible mais profonde”.
Ces objets, poursuit-elle, ne sont pas de simples curiosités, “ils portent des récits des ancêtres, des énergies. Les réinscrire dans leur espace d’origine, c’est redonner souffle à une mémoire longtemps étouffée”.
La restitution d’objets de mémoire qui avaient été pillés, relève, selon elle, d’un acte de justice et de réparation. “Ces objets avaient une fonction sociale, rituelle. Les replacer dans leur contexte vivant, c’est aussi libérer les esprits”, argumente encore la romancière.
Initialement intitulé “Corvus”, le roman a été rebaptisé “Le silence du totem”, à la suggestion de l’éditeur.
Une écriture à cheval sur l’intime et le collectif
“Le silence du totem, c’est une forme de hurlement. Il appelle, réclame, mais nul ne l’écoute”, commente-t-elle.
À travers son héroïne, Sitoé, l’objet sacré retrouve parole et dignité, dans une fresque où se croisent mémoire, transmission et quête de justice.
Interrogée sur ses intentions d’écriture, Fatoumata Ngom dit écrire “d’abord par nécessité intérieure”, mais toujours avec la conscience du collectif.
“En tant que femme noire africaine, j’écris pour mon pays, pour l’Afrique, pour la diaspora. Nos récits doivent circuler, dialoguer avec d’autres, mais sans se dissoudre”, estime la femme de lettres.
Elle se dit aussi exigeante dans ses choix éditoriaux. “Tout ne mérite pas d’être publié. L’écriture est libre, mais la publication engage”, soutient l’écrivaine.
Un appel à l’estime de soi adressé à la jeunesse
Ingénieure en mathématiques financières et en informatique, écrivaine et artiste, Fatoumata Ngom est née dans une famille d’ingénieurs des Industries chimiques du Sénégal (ICS). Elle a grandi à Mboro, dans le département de Tivaouane (Thiès, ouest) où elle a effectué toute sa scolarité.
Son profil atypique mêle sciences dures, expression littéraire et engagement artistique, incarnant une jeunesse sénégalaise plurielle, ancrée et ouverte sur le monde. Elle est actuellement économiste et analyste politique à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’écrivaine se souvient d’une dictée qui l’a marquée, étant élève. Le texte alors tiré de “Une si longue lettre” de Mariama Bâ, a suscité chez elle une prise de conscience féministe.
Elle espère que les collégiens liront en intégralité “Le silence du totem”, notamment le plaidoyer prononcé par l’héroïne à l’UNESCO et la critique des classes préparatoires françaises.
Ayant foi au potentiel des jeunes, elle les appelle à croire en eux-mêmes. “Les jeunes femmes seront les grandes actrices du changement. Il faut les écouter et les impliquer”, recommande-t-elle.
À l’adresse des candidats ayant couché ses propres mots sur leurs copies, Fatoumata Ngom lance ce message de motivation : “Vous avez un potentiel illimité. Croyez en vous. Rien n’est impossible. Et surtout, sachez que vos voix comptent”.
MKB/ADI/ASB/OID