Adja Dial Mbaye : entre art et conviction spirituelle
Adja Dial Mbaye : entre art et conviction spirituelle

SENEGAL-CULTURE-NECROLOGIE-PROFIL

Par Momar Khoulé Ba

Tivaouane, 15 oct (APS) – La cantatrice Adja Dial Moussé Alé Mbaye, figure emblématique de la musique traditionnelle sénégalaise décédée, mardi, a été inhumée mercredi au cimetière Khalkhouss de Tivaouane, laissant derrière elle un héritage artistique et spirituel profondément ancré dans la mémoire culturelle du Sénégal.

Née à Tivaouane, dans une famille reconnue pour son attachement aux valeurs religieuses, Adja Dial Mbaye était la fille de Moussé Alé Mbaye, homme pieux et proche de Seydi El Hadji Malick Sy (1855-1922), un des propagateurs de la Tidjaniya au Sénégal.

Cette proximité avec la cité religieuse a marqué son enfance et façonné son éducation, tout comme sa vocation artistique. Très jeune, elle s’imprègne des sonorités du ‘’zikr’’ (chants religieux) et de la poésie spirituelle, qui influenceront durablement son style et sa conception du chant.

La défunte partageait les mêmes parents que Sokhna Astou Mbaye, mère de l’animateur Abdou Aziz Mbaye de la TFM, un lien familial qui témoigne de la profondeur d’un lignage mêlant foi, culture et dévotion.

Au sommet de sa carrière, dans les années 1980 et 1990, Adja Dial Mbaye s’impose comme une voix incontournable du chant traditionnel sénégalais. Sa voix ample et vibrante, chargée d’émotion et de ferveur, la distinguait sur toutes les scènes.

Elle excellait dans l’interprétation des chants de louange, des récits historiques et des éloges dédiés aux guides religieux de la confrérie Tidjania, en particulier ceux de la lignée de Seydi El Hadji Malick Sy, notamment, le morceau ”Mame Fawade Welle” (1990)

Ses prestations, empreintes d’une grande spiritualité, faisaient d’elle une invitée d’honneur lors des grandes cérémonies religieuses à Tivaouane (Maoloud, Ziarr) et dans d’autres foyers spirituels du pays.

À travers ses chants, elle exaltait la foi, la bravoure, la dignité, la solidarité et la noblesse d’âme, des valeurs cardinales de la société sénégalaise.

‘’Une cantatrice au service de Dieu et de la nation’’

Au-delà du cadre religieux, Adja Dial Mbaye l’interprète de ”Bété bété” (1995) fut également une ambassadrice du patrimoine oral et musical sénégalais. Elle participa à plusieurs tournées culturelles et enregistra des œuvres alliant instruments traditionnels et poésie inspirée du répertoire de la lignée des griots.

Par son talent et sa sensibilité, elle contribua à donner une place de choix à la voix féminine dans un univers artistique alors largement dominé par les hommes.

Ses contemporains se souviennent d’une femme humble, pieuse et généreuse, toujours disponible pour mettre sa voix au service de la foi et des causes sociales. Plusieurs disciples et admirateurs saluent aujourd’hui ‘’une cantatrice au service de Dieu et de la nation’’, capable d’unir l’art et la spiritualité avec élégance.

La disparition d’Adja Dial Mbaye laisse un vide considérable dans le paysage musical sénégalais. Mais son œuvre demeure un héritage vivant, symbole d’un art enraciné dans la foi, la culture et l’histoire du Sénégal.

Parmi ses morceaux les plus marquants, figure un chant devenu célèbre pour sa portée sociale et son ton ironique à Tivaouane.

‘’Tu as transformé les pots des talibés en salaire’’, lançait-elle à l’endroit de l’ancien député-maire de Tivaouane, El Hadji Moustapha Niang.

Cette phrase illustre la capacité d’Adja Dial Mbaye à mêler poésie, satire et sagesse populaire, dans la plus pure tradition des griots. Sans jamais rompre avec le respect dû aux autorités religieuses ou politiques, elle savait trouver les mots justes pour interpeller, instruire et éveiller les consciences.

Son art dépassait le simple divertissement : il incarnait la mission première du chant traditionnel sénégalais, c’est-à-dire porter la mémoire, enseigner et questionner la société.

À travers ses paroles, elle défendait la droiture, l’éducation, la sensibilisation, la place de la femme, l’éthique et la justice, valeurs héritées de son éducation religieuse et de l’influence spirituelle de l’école de Mame Maodo Malick Sy.

Un célèbre arrêt à Guédiawaye porte depuis plusieurs années le nom d’Adjaratou Dial Mbaye, en hommage à son parcours exemplaire.

La défunte a été inhumée mercredi à Tivaouane, au cimetière Khalkhouss, où reposent la plupart des membres de la famille Mbaye.

La prière mortuaire s’est déroulée à la Zawiya Seydi El Hadji Malick Sy, en présence de plusieurs dignitaires de la famille Sy et de nombreuses personnalités religieuses et culturelles venues l’accompagner à sa dernière demeure.

MKB/ASB/MTN/FKS