A Ndiaye, dans la ”fabrique” de semences de riz d’Africa Rice
A Ndiaye, dans la ”fabrique” de semences de riz d’Africa Rice

SENEGAL-AFRIQUE-AGRICULTURE-RECHERCHE

Ndiaye (Saint-Louis), 4 déc (APS) – A 35 km de Saint-Louis, dans la ferme expérimentale de Ndiaye du Centre du riz pour l’Afrique (Africa Rice), se côtoient au quotidien simples ouvriers agricoles et chercheurs les plus réputés dans leur domaine, pour booster la recherche sur les semences en vue d’améliorer le niveau de production de cette céréale au centre des habitudes alimentaires du consommateur sénégalais.

Plusieurs variétés de riz hybrides à haut rendement ont été mises au point ces dernières années par AfricaRice, le Centre du riz pour l’Afrique, suscitant un grand intérêt de la part des acteurs clés, en particulier les entreprises semencières, producteurs et simples agriculteurs.

Basé à Saint-Louis, le Centre régional du riz pour la région sahélienne de l’Afrique de l’ouest couvre sept pays : Burkina Faso, Gambie, Guinée Bissau, Mali, Niger, Mauritanie et Sénégal.

Il est équipé de laboratoires de recherche, d’un centre de formation et de deux fermes expérimentales dans la vallée du fleuve Sénégal, à Ndiaye, dans le Delta, et à Fanaye, dans le département de Podor (150 km de Saint-Louis).

Un matin comme un autre, sous un ciel couvert, le Centre de Ndiaye reçoit la visite d’une équipe de journalistes organisée par la Fondation MasterCard, dans le cadre de son Projet RIZAO (Riz pour l’Afrique de l’ouest), mis en œuvre par Africa Rice et d’autres structures.

Ici, se côtoient au quotidien simples ouvriers agricoles et chercheurs les plus réputés dans leur domaine pour booster la recherche sur les semences de riz.

Sécurité alimentaire et nutritionnelle

Anciennement Association pour le développement de la culture du riz en Afrique de l’Ouest (ADRAO), AfricaRice, qui compte 28 pays membres, est un Centre d’excellence panafricain de recherche rizicole, de développement et de renforcement des capacités.

Son objectif est de contribuer à réduire la pauvreté, à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à améliorer les moyens de subsistance des agriculteurs et des autres acteurs de la chaîne de valeur du riz en Afrique.

Cet objectif passe par l’augmentation de la productivité et de la rentabilité des systèmes agroalimentaires à base riz, tout en assurant la durabilité des ressources naturelles.

Dans sa stratégie de recherche sur le riz, AfricaRice privilégie le développement adapté localement grâce aux connaissances et aux réseaux sur le terrain. Ce qui lui a permis de mener des travaux novateurs ayant transformé la vie de millions de ménages ruraux en Afrique en contribuant à booster le secteur rizicole africain par l’amélioration des semences, des pratiques culturales, des technologies de transformation, des conseils en matière de politique rizicole mais aussi par le biais du renforcement des capacités.

A Ndiaye, dans la ''fabrique'' de semences de riz d'Africa Rice

“Toutes nos activités de recherches sont focalisées ici ou à Fanaye où nous avons un espace plus important. Nous privilégions la production de semences là-bas. Beaucoup de partenaires sont intéressés par la production de semences”, explique Ali Ibrahim, coordonnateur régional d’Africa Rice.

“[….] En ce qui concerne les activités agronomiques ou de sélection, on est aussi bien ici ou à Fanaye […] Il est toujours important pour nous de tester les technologies dans les deux conditions pour voir comment elles se comportent”, ajoute-t-il.

Pour la mise à l’échelle des technologies de recherche, “nous travaillons en parfaite collaboration avec les institutions de dissémination telles que la SAED, l’ANCAR. Si Africa Rice développe des technologies, elle les met à la disposition de ces structures de vulgarisation qui travaillent directement avec les partenaires publics”, explique Ali Ibrahim.

Il désigne l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA) comme le partenaire le plus important avec lequel travaille Africa Rice pour le développement variétal et les technologies agronomes.

Africa Rice produit des semences sur la base de la demande des partenaires, comme c’est le cas avec le projet RIZAO (Riz pour l’Afrique de l’Ouest), une initiative visant à créer des opportunités d’emploi pour les jeunes à travers la chaîne de valeur du riz en Afrique de l’Ouest, financée par la Fondation MasterCard, dans le cadre de sa stratégie Young Africa Works.

La porte d’entrée du projet RIZAO, “ce sont les agro-industriels, les transformateurs à une certaine échelle de production. Ils ont besoin de riz paddy”, ce qui signifie également des semences disponibles en qualité et en quantité, explique Gorgui Alioune Mbow, son coordonnateur.

Le projet va signer des contrats avec eux, ce qui va enclencher une dynamique économique avec tout l’écosystème riz constitué de petits producteurs, de semenciers et des réseaux de distributeurs.

Selon ses explications, le projet cible les entreprises agro-industrielles disposant d’une capacité de décorticage et de transformation du riz égale ou supérieure à 5 tonnes par heure, déjà actives ou souhaitant développer des partenariats structurés avec des réseaux de jeunes productrices, jeunes producteurs et personnes en situation de handicap.

Les PME aussi sont ciblées, de même que les coopératives équipées d’unités de transformation d’une capacité comprise entre 1 et 5 tonnes par heure, engagées dans la transformation du riz et de ses dérivés, et collaborant avec des jeunes et des personnes handicapées.

Le projet RIZAO mise également sur les jeunes femmes, jeunes hommes et entrepreneurs en situation de handicap, impliqués directement dans la transformation du riz et de ses produits dérivés, souhaitant structurer ou développer leurs activités avec un fort potentiel d’impact économique et social.

A Ndiaye, dans la ''fabrique'' de semences de riz d'Africa Rice

                                                                                                                         

Cent cinquante-huit mille emplois pour le Sénégal

Le projet veut contribuer à revitaliser la filière rizicole en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Togo et au Bénin, tout en mettant un accent particulier sur la création d’emplois pour les jeunes femmes.

RIZAO ambitionne d’atteindre 2 205 000 personnes financièrement défavorisées dans le secteur rizicole et de contribuer à la création de 441 000 emplois, dont 70 % destinés aux jeunes femmes.

Le projet prévoit 158 000 emplois pour le Sénégal où il s’articule autour de six piliers principaux dont le renforcement des systèmes semenciers, la création d’opportunités pour les jeunes petits exploitants agricoles et la stimulation de l’emploi à travers les entreprises de transformation.

Les trois autres axes d’articulation du projet au Sénégal concernent l’amélioration de l’accès aux marchés, la promotion de la consommation locale de riz et le plaidoyer pour un environnement favorable.

Dans le cadre de la sélection variétale, Africa Rice travaille en partenariat avec le programme Korean-Africa food and agriculture coopération initiative (KAFACI), lequel offre une opportunité de stimuler la production rizicole en Afrique par l’introduction et la diffusion de variétés améliorées de type Tongil (union en coréen), à haut rendement et préférées par les consommateurs.

En partenariat avec des techniciens coréens, les sélectionneurs de riz d’AfricaRice ont fait le croisement du matériel génétique de riz de la Corée – notamment les lignées Tongil – avec le matériel génétique de riz élite d’AfricaRice, pour mettre au point de nouvelles lignées africaines de type Tongil.  

Chercheur sur le site de Ndiaye, Mamadou Sock explique : “La particularité de ce programme, c’est qu’il utilise la technique de la culture d’anthère. Pour développer une variété, parfois ça prend énormément de temps, 10 ans, 12 ans. L’objectif de ce programme au départ, c’était de développer 55 variétés […]”.

“Nous essayons de développer de nouvelles variétés qui répondent aux besoins du consommateur en faisant le croisement des aponica et des indica. Pour le riz, seulement deux espèces sont cultivées, le riz africain et le riz asiatique. En croisant ces deux variétés, on obtient un hybride ou intermédiaire appelée en coréen Tongil (union en coréen)”, ajoute le chercheur sénégalais.

“Avec cette technique, souligne-t-il, les Coréens ont atteint l’autosuffisance en riz dans les années 70. On s’est dit pourquoi ne pas appliquer cette technique ici. Une fois qu’on a développé cette nouvelle lignée, il faut essayer de la fixer. Pour ce faire, on a la sélection généalogique et la culture d’anthère”.

Il poursuit : “Ici, on se focalise sur la culture d’anthère, qui est un raccourci. L’anthère, c’est l’organe mal chez le riz. On prend l’anthère, on le met dans un milieu de culture. On peut fixer le caractère en une année au lieu de cinq ans. Si la variété répond à nos critères, on peut homologuer. Avec cette technique, on a pu homologuer récemment 59 variétés en l’espace de 9 ans, alors qu’il fallait 10 ans pour homologuer une variété”.

Avec les anciennes variétés, le riz durcit après la cuisson, alors qu’avec le Tongil, “on peut cuisiner son riz le matin, le réchauffer l’après-midi et le manger sans problème ; la qualité demeure”, dit-il.

Pour soutenir ce travail, un laboratoire moderne de culture d’anthères de grande capacité pour la production des plantes haploïdes doubles, connu sous le nom de Laboratoire afro-coréen de sélection du riz (AKRiL), a été installé à Ndiaye.

A Ndiaye, dans la ''fabrique'' de semences de riz d'Africa Rice

“Variétés intelligentes”

Avant d’y pénétrer, il faut enlever ses chaussures et en chausser de nouvelles pour éviter toute contamination. L’endroit doit rester propre.

Selon Faty Diaw, chercheure-sélectionneure de riz, il s’agit de “mettre en place des lignées adaptées aux écologies africaines en utilisant la méthode de sélection appelée la culture d’anthère. C’est une technologie qui a eu son succès en Corée”.

“En plus de la sélection, nous faisons des renforcements de capacités, nous formons des techniciens, des doctorants, des étudiants. C’est une technique qui permet de raccourcir le cycle de sélection. Ce qu’on faisait sur 10 ans, on peut le faire en 5 ans”, ajoute-t-elle emmitouflée dans sa blouse blanche.

Spécialiste du système semencier, Badara Guèye rappelle que “la production des semences est très sensible”. “Il faut qu’il y ait des critères de pureté variétale, résistance à la maladie, la capacité de germination. Elle est très très sensible et réglementée. Il y a trois classes. La première qu’on appelle la prébase. Elle est faite par les centres de recherche comme l’ISRA, Africa Rice”.

“Pour passer aux classes suivantes, poursuit-il, il faut qu’on donne au secteur privé. En un moment, ce n’est plus de la science, c’est de la production, c’est du business. Ces semences seront développées en quantité pour que le paysan qui veut cultiver 20 ha puissent avoir des semences de qualité et en quantité et satisfaire la demande du marché”.

“Il y a également l’aspect variété qu’on a définie pour répondre à la demande. Il faut qu’en bout de chaine, cette variété soit exactement celle qu’on a développée pour répondre à une demande précise. C’est pourquoi la réglementation des semences est très précise. Ici, nous avons la production de prébase, la production de première classe avec tous les critères. Il y a même une agence nationale qui réglemente tout ça, on est certifiés”, explique M. Guèye.

Le spécialiste fait observer que l’on parle “partout de développement de l’agriculture ou de développement par l’agriculture. Mais un des piliers de la souveraineté alimentaire, ce sont les semences de qualité”.

Daouda Mbodj, assistant de recherche en sélection de riz, parle même de “variétés intelligentes”, c’est-à-dire des semences adaptées à toutes les conditions écologiques et climatiques.

Le  coordonnateur régional d’Africa Rice rappelle que l’agriculture “est confrontée au défi de la productivité”. “Généralement, le rendement dans tous les pays sahéliens, y compris le Sénégal, est faible. Il tourne autour de 4 à 5 tonnes pour un rendement possible de 8 à 10 tonnes”, avance-t-il.

Ali Ibrahim note que ce problème de productivité “est lié non seulement au problème des sols, à la dégradation des sols, la salinité, l’accès aux semences de qualité”, mais aussi au le problème de la transformation et à la qualité des produits. Il estime qu’il “ne suffit pas seulement de produire en quantité, il faut aussi que la production soit de qualité”.

Face à cette problématique, il faut, selon lui, “développer des variétés adaptées à toutes les écologies, irriguées ou pluviales”, “des variétés tolérantes à la salinité” et “des variétés adaptées à des températures extrêmes notamment le problème d’inondation. Toutes ces variétés existent et permettent d’augmenter le niveau de productivité”.

”Toutes les variétés utilisées dans les pays africains notamment ici au Sénégal sont développées par Africa Rice comme la variété Nérica. Ces variétés ont augmenté de manière générale la production de riz dans les pays africains. Il faudrait nécessairement que les variétés répondent aux besoins des producteurs”, a-t-il insisté, avant de conclure : “C’est pourquoi nous travaillons en collaboration avec les producteurs, les transformateurs pour faire des sélections participatives, avoir des besoins qui répondent aux besoins du marchés”.

OID/BK