SENEGAL-SOCIETE
Par Ibrahima Diabakhaté
Kédougou, 28 mars (APS) – Le village de reclassement social de Fadiga, dans la commune de Kédougou (sud-est), souffre aujourd’hui de plusieurs maux, dont le manque d’infrastructures sociales de base, près de 76 ans après sa création en 1949, pour accueillir les populations atteintes de la lèpre, une maladie tropicale négligée.
Au départ, une partie de la population du village Fadiga, devenu un quartier de la commune de Kédougou, vivait de manière isolée à Woumbaré. Cette localité est située sur la route de Fongolimbi, à une quinzaine de kilomètres environ de la ville de Kédougou.
A Woumbaré où Alamouta Cissokho était le chef de village, les populations atteintes de la lèpre, en plus d’être isolées, étaient dépourvues de moyens de défense face aux attaques des hyènes.
Malgré leur handicap physique, elles ont élaboré des stratégies de lutte contre ce phénomène qui perdurait. Elles ont ainsi incendié leurs cases afin de pousser les autorités à prendre des décisions urgentes et adéquates à propos de leur situation.
Après cet évènement, ces populations furent déplacées de Woumbaré pour être installées sur un site du quartier Fadiga, à cheval entre l’aérodrome et la ville de Kédougou.
Deux versions pour expliquer l’origine du nom Fadiga
Selon la première version, Fadiga viendrait de “ifandinkha”, ce qui signifie en mandingue ‘’ta propre tombe’’. Cette appellation n’est pas fortuite, indique Boubacar Traoré, un notable du village. Elle fait référence à la souffrance que les personnes atteintes de la lèpre ont vécue à Woumbaré, leur premier site d’accueil, dit-il.
‘’Elles étaient laissées à la merci des hyènes dans un endroit sans aucune mesure de protection contre ces fauves et les autres prédateurs’’, fait-il savoir.
La seconde version, renseigne le notable Traoré, serait liée à leur recasement à plusieurs reprises vers d’autres sites. ‘’Fadiga, leur dernier site de recasement, est pour elles l’endroit où elles finiront leur dernier jour’’, dit-il.
Bambo Dramé, un autre notable du village de Fadiga, opte pour la deuxième version ‘’Fakhadiya’’ signifie en mandingue ‘’mourir facilement sans gêner personne’’, tente-t-il d’expliquer l’origine du village Fadiga.
‘’Les morts étaient enterrés hors du village et les défunts n’avaient pas droit aux rituels religieux, à savoir le lavage et la prière mortuaires, l’utilisation de linceul et l’inhumation’’, a-t-il rapporté.
Il indique que l’ancien chef de village de Fadiga, Nouhoun Sylla, a mis un terme à cette pratique, suite au décès de son frère à l’époque.
”Il a mobilisé la population du village pour dire non à cette injustice humaine. Depuis ce jour, les morts sont enterrés à Fadiga sans l’aide des habitants de Kédougou’’, a-t-il raconté.
Sur le plan démographique, le village de Fadiga a commencé à évoluer dans le temps, note pour sa part, le notable Djiguiba. Selon lui, 4 ans (1953) après sa création, le village de reclassement social ne comptait que 9 personnes atteintes de la lèpre.
Des maisons construites en briques de banco ou en dur, les rues au sol rouge : telle est la carte postale de ce village devenu un quartier de la ville de Kédougou en 2008.
La localité fait face à la route nationale (RN7) qui mène vers le département de Salémata. Pour y accéder, il faut passer par une petite descente qui conduit à la grande mosquée et à la place publique du village.
En ce samedi, il règne un calme dans ce quartier où la majorité des habitants parlent le mandingue. Dans les maisons, sauf le bruit des enfants jouant au football vient perturber ce silence.
Manque d’infrastructures sociale de base
Le quartier de Fadiga est confronté à d’énormes difficultés parmi lesquelles le manque de l’eau et d’infrastructures sociales de base.
La vente de charbon de bois était l’activité principale des habitants du village. Mais depuis l’interdiction de cette activité par les autorités locales, il n’y a pas de mesures d’accompagnement en leur faveur, déplore Boubacar Traore, un jeune.
Doura Keita, un habitant, déplore aussi le manque de mesures d’accompagnement depuis que Fadiga est devenu un quartier de la commune de Kédougou en 2008. ‘’Vraiment nos femmes sont fatiguées et nos enfants ne travaillent pas jusqu’à présent’’, dénonce-t-il.
Selon Doura Keita, les femmes de Fadiga n’ont jamais bénéficié d’accompagnement technique et financier.
‘’Les femmes de Fadiga surtout celles qui travaillent au niveau du jardin n’ont pas bénéficié d’appuis économiques et sociaux de l’Etat du Sénégal. Pour conserver les légumes qu’elles vendent au marché, c’est un problème’’, a-t-il fustigé.
Il a invité l’Etat et les collectivités territoriales à prendre en charge la formation des jeunes, surtout des femmes du village de reclassement social de Fadiga.
‘’Nous voulons que les autorités nous aident avec des bons de formation pour insérer nos jeunes et on a constaté que beaucoup d’entre eux ne travaillent pas, malgré toutes les opportunités de la région de Kédougou’’, a-t-il dit.
Toutes les maisons impactées par la pénurie d’eau
Depuis 2008, la population fait face à un problème d’approvisionnement en eau potable. Le groupe ‘’Yéllitaré’’ a installé une pompe solaire pour alimenter le village en liquide précieux.
Sur place, le visiteur est frappé par un long alignement de récipients qui attendent d’être remplis sous les yeux de leurs propriétaires, des hommes et des femmes, venus s’approvisionner en eau à l’unique borne-fontaine du quartier.
‘’Le problème de l’eau se pose avec acuité à Fadiga et sincèrement nous sommes fatigués, et surtout, nos femmes. Elles sont complètement fatiguées. Et depuis de nombreuses années, elles font la queue pour avoir de l’eau’’, déplore Boubacar Traoré.
Ces derniers jours, c’est pratiquement tout le village qui fait face à cette pénurie d’eau, car la pompe solaire ne peut pas satisfaire les besoins en eau de tout le quartier, explique-t-il.
‘’Vous avez vu les charrettes chargées des bidons de 20 litres ainsi que les femmes qui viennent avec des seaux et des baignoires vers un seul robinet. C’est pour vous dire le problème que nous vivons pendant des années, et les gens ne s’occupent plus de savoir si l’eau est potable ou pas’’, martèle-t-il.
En ce samedi, c’est la ruée vers le robinet public à cause du manque d’eau en cette période de forte chaleur, coïncidant avec le mois de ramadan. Dans cet espace communément appelé robinet ‘’Sall Sall’’, Mamita Camara attend patiemment, pour espérer remplir ses bassines.
Elle s’est réveillée sans la moindre goutte d’eau à domicile. Un foulard blanc sur la tête, un pagne autour des reins assorti d’un t-shirt blanc, la dame d’une trentaine d’année a fini par s’habituer à cette situation.
‘’La situation a toujours été comme ça et je ne pense pas que le problème de l’eau sera réglé à Fadiga’’, dit-elle sur un ton de désespoir.
Le maraîchage, principale activité des femmes
Debout au milieu des périmètres maraîchers du village, les femmes observent l’horizon avec enthousiasme. Ici, les récoltes de choux, d’oignon, des feuilles d’oignon ou de salade sont prometteuses. Les populations vivent grâce au maraîchage qui se développe à un rythme effréné.
A Fadiga, 130 femmes regroupées autour de quatre groupements féminins issus des familles victimes de la lèpre, ont emblavé deux hectares de périmètres maraîchers. Elles cultivent de la salade, de l’oignon, des carottes et d’autres légumes.
‘‘Nous avons un grand rendement, parce que c’est nous qui approvisionnons tous les jours une partie du marché central de Kédougou en légumes frais. Et nous mangeons l’autre partie, parce que nos maris ne travaillent plus. Ils s’activaient dans la vente du charbon, maintenant cette activité a été interdite’’, lance Mamy Camara, rencontrée dans le jardin maraîcher de Fadiga.
Elle déplore le manque d’eau et d’espace arable au niveau du jardin maraîcher des femmes de Fadiga.
‘’Notre grand problème ici, c’est l’eau. Pour arroser nos plantes, il faut que tu te réveilles à 5h du matin, car à midi les puits sont à sec. Nous voulons travailler, mais on n’a pas d’eau et d’espace pour cultiver’’, déplore-t-elle.
Mamy Camara plaide pour un financement en faveur du groupement afin que les femmes du village puissent agrandir leur périmètre maraîcher.
‘’On n’a jamais eu de financement ni bénéficié d’actions des autorités locales de Kédougou et on se débrouille avec les moyens du bord. Pourtant, on doit en bénéficier comme tout le monde, parce que nous faisons partie de la société’’, revendique-t-elle.
Pourtant, la direction générale de l’action sociale a initié un vaste programme d’accompagnement de ces populations victimes de lèpre, selon Mamadou Saliou Sall, directeur régional de l’action sociale de Kédougou.
‘’Nous les avons regroupées en association des personnes vivant avec la lèpre du village de reclassement de Fadiga. Et c’est une association très dynamique et très organisée qui, aujourd’hui, est en train de travailler pour améliorer les conditions de vie des populations victimes de la lèpre’’, assure-t-il.
Mamadou Saliou Sall ajoute que l’Etat du Sénégal a initié également le Programme pour l’autonomisation des personnes atteintes de lèpre et familles (PAPALF).
‘’Il s’agit de fonds qui sont destinés à subventionner des activités génératrices de revenus au profit des populations de Fadiga. On finance des petits commerces tels que l’aviculture et l’élevage’’, a-t-il détaillé.
Il signale que l’école élémentaire de Fadiga a bénéficié également de fournitures scolaires dans le cadre du programme PAPALF.
‘’Nous avons construit deux salles de classe au niveau de l’école élémentaire et réhabilité la case des tout-petits de Fadiga avec notre partenaire, la DAHW [l’association allemande de lutte contre la lèpre et la tuberculose]. Et nous choisissions chaque année des jeunes adolescents de Fadiga pour les inscrire dans les écoles de formation de métiers et de réinsertion’’, indique-t-il.
Il signale aussi que son service a initié un plateau de soins médicaux pour les personnes vivant avec la lèpre.
‘’Des gens ont été bien formés et sont en train de les accompagner sur place. Maintenant, quand le cas devient grave et nécessite une évacuation au niveau de l’hôpital régional, là aussi nous avons mis en place des fonds pour accompagner ces malades qui ont besoin des soins coûteux’’, poursuit-il.
Il précise que tous les lépreux du village de reclassement social de Fadiga sont bénéficiaires de la carte d’égalité des chances.
‘’L’avantage de cette carte, au-delà de l’identification, elle permet au bénéficiaire d’avoir la bourse de sécurité familiale. Et aussi d’être enrôlé pour la couverture maladie universelle, et cela va leur permettre d’accéder très facilement aux soins de santé’’, indique-t-il.
Le village compte aujourd’hui 1200 personnes, selon les statistiques de la Direction régionale de l’action sociale de Kédougou. Elle dit avoir recensé 54 personnes vivant avec la lèpre à Fadiga.
‘’Au total, 54 personnes vivant avec la lèpre se trouvent dans 48 ménages à Fadiga. (…), mais il se trouve que les enfants ne sont pas atteints de la maladie de la lèpre’’, explique-t-il.
Le directeur régional de l’action sociale de Kédougou invite les collectivités territoriales de Kédougou à appuyer le village de Fadiga pour la construction d’habitations et dans la fourniture d’eau et d’électricité.
PID/ABD/ASB/OID/HB/ASG