“Katanga, la danse des scorpions”, de Dani Kouyaté : fresque intemporelle sur la folie du pouvoir

AFRIQUE-CINEMA-ANALYSE

Dakar, 19 mars (APS) – Il y a des symboles et signes qui inscrivent un film dans la vision du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco), le lieu d’un discours des créateurs africains sur le continent et d’un miroir tendu au reste du monde comme reflet d’une proposition artistique et politique.

“Katanga, la danse des scorpions”, du réalisateur burkinabè Dani Kouyaté, lauréat de l’Etalon d’or de la 29-ème édition (22 février – 1er mars), est clairement de ceux-là.

Le propos du film, marqué du sceau du conte et nourri du souffle de mythes et de légendes, l’inscrit dans une intemporalité certaine.

Il y a, au-delà de ce puissant narratif, un bonus qui a consisté, pour son réalisateur, à réserver sa première mondiale au plus grand événement dédié aux cinémas d’Afrique. C’est un geste qui réconcilie avec un festival que certaines personnes, par leurs commentaires et prises de position, ont tendance à fragiliser.

Kouyaté est le troisième réalisateur burkinabè à inscrire son nom à ce niveau du palmarès du Fespaco, le plus important festival consacré au cinéma africain, après Idrissa Ouédraogo en 1991, pour Tilaï, et Gaston Kaboré en 1997, pour Buud Yam. L’attente a été longue – 28 ans – mais elle en valait vraiment la peine.

Le jury présidé par le réalisateur malien Souleymane Cissé, décédé le 19 février dernier, à 72 heures de l’ouverture du Fespaco – que les membres du jury ont décidé de ne pas le remplacer – a souligné « le caractère intemporel et universel » de la thématique, soulignant « la savoureuse magie qui a permis de fixer l’intemporalité dans notre contemporaine actualité » de même que « son fort ancrage culturel à travers ses décors, ses costumes et la valorisation de son identité linguistique ».

Cette récompense sonne comme une consécration pour un auteur, doublé d’un conteur ayant plusieurs cordes à son arc, inscrit depuis ses débuts dans la mise en scène et le questionnement sur le pouvoir, sa transmission, la folie et les dérapages qu’il peut créer.

Le film ainsi couronné par l’Etalon d’or porte en lui – même si son intemporalité est clairement perceptible – la résonance d’un regard artistique puissant sur les sociétés africaines d’aujourd’hui où le rapport au pouvoir est le lieu de toutes sortes de fantasmes, nourries par les populismes les plus insensés.

C’est la force de la création artistique comme moyen génial de lire, de porter une critique, et de faire parler les situations les plus cocasses, qui est ainsi célébrée.

Le film a tout pour plaire : le sujet, les décors, la trame de l’histoire racontée. L’engagement de Dani Kouyaté n’est pas celui d’un artiste opportuniste, fait de slogans, comme hélas il nous est donné à voir et à entendre ici et là. C’est un propos au service d’une vision, d’un langage propre au réalisateur, qui se donnent à apprécier dans son travail de mise en scène depuis bientôt trente ans.

Dans son travail de création, Dani Kouyaté s’appuie avec une grande intelligence sur les mythes et légendes africains. C’est ce qu’on avait vu avec Keïta ! L’Héritage du griot, qui retrace la vie du fondateur de l’Empire du Mali, Soundjata Keïta, ou encore pour Sia, le rêve du python, pour lequel il s’inspire de la légende soninké du serpent Bida remontant au VIIe siècle.

“Katanga, La danse des scorpions”, d’après La tragédie de Macbeth de William Shakespeare – tourné dans les banlieues de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso – est un questionnement audacieux du réalisateur sur le pouvoir, la politique, avec un va-et-vient réussi entre l’histoire et des éléments contemporains. Les scènes du film ont été réalisées au Burkina Faso avec une équipe technique composée essentiellement de jeunes de l’Institut supérieur de l’image et du son/Studio Ecole de Ouagadougou (ISIS).

La problématique de la gouvernance politique et du rapport au pouvoir est au cœur de ce film tourné en noir et blanc et joué en mooré. Le réalisateur réussit magistralement à mettre les outils de narration d’aujourd’hui au service de la tradition des Djélis de raconter les histoires, d’inscrire dans le temps et dans l’espace la permanence de valeurs comme le respect de la vie, l’attachement à la parole donnée.

Audacieux, créatif et profond

Réagissant après avoir reçu le trophée de l’Etalon d’or, Dani Kouyaté a lancé, sous les applaudissements nourris des spectateurs : « Je voudrais dédier cet Étalon d’or au peuple du Burkina Faso et à tous ceux qui sont morts sur le champ de bataille pour défendre notre patrie. La lutte est âpre, mais la victoire est certaine ».

“Katanga, La danse des scorpions” est une plongée dans les méandres des conflits et luttes de pouvoir. Il explore ce thème intemporel et universel avec un vrai talent d’auteur et de conteur, traitant avec une profondeur réelle et beaucoup de subtilité la fragilité humaine face aux tentations du pouvoir, les notions de fidélité, d’amitié.

Dani Kouyaté fait centrer son histoire autour du roi Pazouknaaba qui, après avoir échappé à un complot visant sa vie, désigne son cousin Kantaga chef des armées. Celui-ci, submergé par la responsabilité de sa mission, consulte un devin, qui lui prédit qu’il héritera de la couronne ou périra avec le roi lors du prochain complot. Lorsque l’ambition de son épouse grandit, Kantaga se laisse corrompre par le désir de pouvoir.

Les images entièrement en noir et blanc sont le symbole d’une métaphore, né du souci du réalisateur de donner à son film un caractère et une dimension intemporels, pour l’inscrire dans un cadre artistique qui l’éloigne de lieux et repères connus. C’est cela qui donne à l’œuvre l’allure d’un conte onirique, d’une fresque dont l’impressionnante qualité sonore et visuelle réconcilie le spectateur avec le cinéma. Le film séduit tout autant par la remarquable prestation des acteurs.

Dani Kouyaté réussit finalement à entretenir, du début à la fin, des émotions fortes, pour livrer un message sur la nature humaine, l’ego des êtres humains face au pouvoir, leur désir de puissance.

A 63 ans, le réalisateur est connu pour sa rigueur dans la production de film. Cet Etalon d’or de Yennenga sonne donc comme la récompense de ses efforts, lui qui avait renoncé à participer à la précédente édition du Fespaco (2023) parce qu’il estimait qu’il n’était pas prêt.

Ce souci du travail bien fait et l’option d’inscrire son œuvre dans la durée, pour qu’elle parle aujourd’hui et demain, lui font prendre cinq ans pour offrir au public un chef-d’œuvre. “Katanga, la danse des scorpions” vaut bien un Etalon.

ADC/BK

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