Une écrivaine déplore “l’invisibilisation” des figures féminines dans la mémoire collective
Une écrivaine déplore “l’invisibilisation” des figures féminines dans la mémoire collective

SENEGAL-AFRIQUE-MEMOIRE

Dakar, 3 nov (APS) – L’écrivaine sénégalaise Fatoumata Sissi Ngom a appelé à l’élaboration d’une nouvelle cartographie mémorielle du Sénégal, plus équilibrée et inclusive, en mesure de refléter toute la contribution des femmes aux luttes, à l’éducation, à la culture, à la transmission des savoirs et à la survie de la nation.

“Le Sénégal ne sera pleinement décolonisé que lorsque ses femmes habiteront pleinement nos récits, nos institutions et nos espaces”, a notamment dit l’analyste de politiques dans une tribune parvenue à l’APS.

Sa réaction fait suite à la décision du conseil municipal de Dakar de rebaptiser plusieurs rues du Plateau, autrefois nommées en hommage à des figures coloniales, par des noms d’hommes politiques et religieux sénégalais.

Fatoumata Sissi Ngom dit regretter l’absence de figures féminines dans cette nouvelle liste, soulignant que “tant que leurs noms n’auront pas leur place sur nos rues, nos édifices, nos équipements, c’est une part de notre humanité et de nos responsabilités collectives que nous continuerons à effacer”.

Selon l’auteure, “ce nouvel oubli, cette nouvelle invisibilisation, révèle une réalité plus profonde : celle d’une décolonisation au masculin qui, en réalité, n’adviendra pas tant que les hommes africains n’auront pas entrepris leur propre décolonisation — intérieure, symbolique et transgénérationnelle”.

Elle estime qu’au-delà du symbole, “ce silence autour des femmes noires n’est pas un accident. Il révèle un problème plus profond, enraciné dans notre inconscient collectif”.

Une décolonisation au masculin

Fatoumata Sissi Ngom faisait notamment allusion à ce qu’elle appelle “un patriarcat africain qui s’est nourri de la colonisation au lieu de la combattre, et qui, aujourd’hui se nourrit de la décolonisation”.

De son point de vue, la colonisation “n’a pas seulement possédé nos terres, notre économie et nos institutions, elle a remodelé notre sociologie, nos mentalités, les relations entre les hommes noirs et les femmes noires”.

“En important un modèle patriarcal occidental, elle a établi dans les sociétés africaines, et ce de manière ancrée, des hiérarchies entre les sexes qui, auparavant, étaient bien plus fluides et complémentaires”, a-t-elle martelé.

Elle estime que les hommes africains ont hérité de cette domination soufflée par la colonisation et en ont tiré bénéfice, reproduisant sur “les femmes noires, et ce à travers les générations, les mêmes logiques de dépossession dont ils se plaignent souvent vis-à-vis de l’Occident”.

Dans cette perspective, Fatoumata Sissi Ngom invite le président de la République Bassirou Diomaye Faye à “envoyer un signal fort”, consistant à adopter une “directive présidentielle visant à baptiser des rues, écoles et lieux publics du nom de femmes sénégalaises illustres”.

 Elle cite à ce propos Aline Sitoë Diatta, Ndatté Yalla Mbodj, Mame Madior Boye, Marie-Angélique Savané ou encore Marème Touré Thiam.

L’écrivaine note que l’exclusion des femmes de ce processus symbolique traduit une “décolonisation au masculin” qui reste incomplète, ajoutant que “refuser d’y inscrire les femmes, c’est prolonger leur effacement”, en niant “leur contribution aux luttes, à l’éducation, à la culture, à la transmission des savoirs et à la survie de la nation”.

Pour Fatoumata Sissi Ngom, décoloniser l’espace public, ce n’est pas seulement changer des noms, “c’est repenser ce que ces noms racontent”.

“Or, tant que nos rues, nos écoles et nos institutions ne porteront pas aussi les noms des femmes qui ont marqué notre histoire, notre mémoire collective restera amputée, jamais décolonisée”, a-t-elle conclu.

MKB/SMD/FKS/ADL/HK/BK