Micro jardinage bio à Dakar, des pionnières perpétuent une pratique agricole aux multiples défis
Micro jardinage bio à Dakar, des pionnières perpétuent une pratique agricole aux multiples défis

SENEGAL-AGRICULTURE-REPORTAGE

 

Cambèrène, (Dakar) 6 mai (APS) – Le micro-jardinage bio, une activité consistant à faire du maraichage sur table sans engrais et pesticide, est aujourd’hui en vogue à Dakar et dans plusieurs villes du Sénégal. Une progression qui a été rendue possible en partie grâce à un travail de promotion et d’engagement des femmes pionnières du ”GIE Légumes BIO Ngouda Ba’’, évoluant dans ce secteur depuis vingt-six ans en zone urbaine de Dakar.

Aujourd’hui après plusieurs décennies, ces pionnières du micro jardinage biologique vivent de leur passion en dépit de leur âge avancé et de nombreux obstacles, tout en continuant de former des jeunes. Leur objectif est de sauvegarder cette activité, qui vise à mettre sur le marché des légumes et fruits sains, sans produits chimiques synthétiques tels que des pesticides ou des engrais artificiels, privilégiant ainsi la préservation de l’équilibre naturel des écosystèmes.

C’est à la cité des Nations unies, en plein cœur de Dakar, précisément dans la commune de Cambérène, que les femmes du ”GIE Légumes BIO Ngouda Ba’’ ont aménagé une superficie de plus de 300 mètres carrés pour s’adonner à leur passion, le maraichage biologique sur table.

Sur place, un espace verdoyant clôturé, composé d’une centaine de bacs en bois, s’offre aux visiteurs qui entrent dans ce périmètre maraicher. Ce cadre de verdure, ressemblant à un enclos grandeur nature, contraste avec les maisons en béton aux alentours.

Des femmes âgées entre 60 et 70 ans encore actives 

Les odeurs provenant des plantes aromatiques et des légumes frais extraits des tables et prêts à la commercialisation chatouillent les narines des visiteurs et des clients venus s’approvisionner en produits bio.

Créé en 2003, le ‘’GIE Légumes BIO Ngouda Ba’’ regroupe actuellement une trentaine de femmes âgées entre 60 et 70 ans.

Elles font partie de la première cohorte de femmes à bénéficier d’une formation aux techniques du maraîchage sur table du Centre de formation et de démonstration des techniques de micro-jardins, ouvert à Dakar en 1999.

Elles ont été sélectionnées dans le cadre d’un programme de micro-jardinage dédié aux populations urbaines et périurbaines officiellement lancé par l’ancien ministre de l’Agriculture sous le régime socialiste, Robert Sagna, pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire.

Ce programme, initialement limité aux populations urbaines et périurbaines de Dakar, a été élargi à toutes les régions à partir de 2006, grâce à l’appui de la Coopération sénégalo-italienne et celle liant les villes de Dakar et Milan en Italie.

Debout au milieu du périmètre maraicher, Fatoumata Diané, trésorière du GIE, est revenue sur les débuts de leur engagement dans cette pratique agricole qui, dit-elle, a également vu le jour grâce à l’appui de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

‘’On doit tout au défunt Ngouda Ba, ancien directeur du programme micro-jardin au ministère de l’Agriculture, chargé de sa mise en œuvre’’, dit-elle.

‘’Ngouda Ba a été un fervent défenseur de l’autonomisation des femmes à travers le micro jardinage. Avec lui, on recevait continuellement des intrants, du bois pour la fabrication de tables, des semences et bien d’autres matériaux pour nous aider à nous développer’’, témoigne-t-elle, expliquant que c’est la raison pour laquelle leur GIE porte son nom.

Exprimant sa reconnaissante à Ngouda Ba, Fatoumata Diané a également souligné, qu’à l’époque, leur formation en micro jardinage se déroulait dans les locaux du Centre pour le développement de l’horticulture (CDH). ’’Au terme de cette formation, chaque femme recevait, en guise d’appui, une dizaine de tables pour démarrer le maraichage biologique sur table à domicile’’, dit-elle.

”Le micro jardinage demande beaucoup de patience”

Mme Diané a également indiqué que Ngouda Ba avait l’habitude de faire le tour de leurs maisons respectives à Dakar pour vérifier si elles appliquent correctement les techniques de maraichage sur table. 

La trésorière du GIE a souligné qu’à la suite de cette première expérience individuelle, les femmes ont décidé de réunir leurs tables dans un seul espace en choisissant le site de Cambérène. ”A la suite de cette décision, nous avons mis en place ce GIE pour faire du micro-jardinage ensemble’’, ajoute-t-elle.  

Présentant les différentes étapes du micro jardinage, elle a d’emblée précisé que c’est une activité qui demande beaucoup de patience.

”Il faut confectionner d’abord une table de maraichage, ensuite plastifier le bac en bois servant de cadre aussi bien pour la culture flottante que pour les cultures sur substrat solide’’, a-t-elle expliqué, précisant que le substrat solide est utilisé pour réaliser les pépinières ou conduire les plantes jusqu’à la production.

Le substrat solide, a-t-elle indiqué, est composé de 60% de coques d’arachide, de 20% de balle de riz, un sous-produit dérivé du décorticage du riz, et 20% de latérite, une matière sur laquelle les femmes réalisent le semis direct, la pépinière ou le repiquage des plantules.

Le substrat solide doit être nettoyé et bien humidifié avant utilisation, souligne-t-elle.

Mme Diané a en outre précisé qu’ hormis l’usage de tables, plusieurs types de conteneurs tels que des bidons en plastique de 20 litres fendus, des seaux en plastique, des bouteilles d’eau minérale ou encore des bassines en plastique peuvent être utilisés pour le micro jardinage.

La sexagénaire Bator Sakho, présidente du GIE, une des pionnières du micro jardinage bio à Dakar, n’a pas pu faire le déplacement car elle s’active aujourd’hui de moins en moins pour des raisons de santé. Selon les autres membres du GIE, elle a oeuvré, durant toute sa vie, pour développer l’association et faire en sorte que toutes les femmes membres s’unissent autour du micro-jardinage.

’’L’objectif principal du programme de micro jardinage était d’atteindre l’autosuffisance alimentaire pour assurer une meilleure qualité nutritionnelle aux ménages’’,  a de son côté souligné Marianne Guèye, secrétaire générale du GIE. ‘’Au-delàs de cet objectif, le micro jardinage s’est ensuite révélé être pour nous une source de revenus supplémentaires’’, ajoute-t-elle.  

”Aujourd’hui encore, malgré notre âge avancé, nous sommes toujours là, car nous sommes animées d’abord par la passion et le désir de nous entraider entre femmes”, dit-elle encore, soulignant qu’avec le micro jardinage, la consommation de légumes et fruits sains est possible pour les familles défavorisées. Il favorise aussi une disponibilité et un accès aux autres condiments de qualité dont les ménages ont besoin quotidiennement.

Marianne Gueye est d’avis que le choix de faire uniquement du micro jardinage biologique, sans engrais et sans pesticide, a été déterminant dans le succès commercial de ces produits.

”Les populations connaissent les bienfaits des produits bio, c’est la raison pour laquelle elles préfèrent acheter ici nos légumes plutôt que dans les marchés ’’, soutient-elle, soulignant que ”le GIE propose aux clients plusieurs légumes et épices, mais les feuilles de menthe et la salade restent nos produits bio les plus convoités”.

”La menthe et la salade sont très prisées par nos clients, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous en voyez beaucoup dans le jardin’’, ajoute-t-elle.

Soucieuses de préserver et de transmettre leur savoir, ces femmes sont  devenues, à leur tour, des formatrices, partageant ainsi régulièrement leur expertise et leurs techniques de maraichage sur table avec des jeunes femmes, en dépit de nombreuses contraintes.

L’accès à l’eau, un obstacle majeur au micro jardinage urbain 

Parmi ces difficultés, il y a la présence des rongeurs qui se nourrissent de légumes dans le périmètre, en plus d’un problème d’accès à l’eau. ”Nous avons dû creuser un puits, car les factures d’eau coûtaient très cher. Il s’y ajoute que l’eau de la nappe peine parfois à remonter, ce qui nous oblige à décaisser des sommes allant jusqu’à 100 mille FCFA pour résoudre cela’’, se désole-t-elle.

Trouvée sur place, l’écoféministe Khady Camara, une habituée de ce site, renseigne que les femmes du GIE rencontrent aussi énormément de difficultés pour accéder aux intrants bio.

”Les graines certifiées bio sont difficiles à avoir. Donc, il faut que l’Etat mette en place un mécanisme d’acquisition de ces graines’’, suggère Mme Camara, par ailleurs initiatrice de la Grande marche des femmes pour la justice climatique au Sénégal.

Elle a appelé à promouvoir aussi bien les semences bio qui ont plus de teneurs en vitamines, que les intrants comme les biofertilisants ou fertilisants organiques.

Khady Camara n’a pas manqué de magnifier le travail des femmes du ”GIE Légumes Bio Ngouda Ba”.

”Ces femmes que vous avez trouvées ici mettent en avant une technique agroécologique, une agriculture saine et durable qui n’utilise aucun intrant chimique et c’est ce que nous promouvons’’, dit-elle.

Interpellée sur le prix des formations, Fatoumata Diané a signalé que contrairement aux années passées, pour bénéficier actuellement d’une formation en micro jardinage d’une semaine, il faut au moins débourser 15 mille FCFA. ”Ce tarif a augmenté depuis la suspension du programme de formation de la ville de Dakar dans ce secteur. Ce programme permettait de former chaque femme pour seulement mille FCFA”, renseigne-t-elle.

L’engagement de ces femmes pionnières a pu se concrétiser dans les dix-neuf communes de Dakar, à travers les nombreuses formations en techniques de micro jardinage qu’elles continuent encore à dispenser, perpétuant ainsi un savoir vieux de plusieurs décennies et qui continue de nourrir des familles entières dans la capitale et dans les régions.

 MF/AB/SBS/HB/ABB/OID

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