Le cuir, une matière noble mais peu valorisée à Sédhiou
Le cuir, une matière noble mais peu valorisée à Sédhiou

SENEGAL-COLLECTIVITE-ARTISANAT

Du correspondant de l’APS, Oumar Baldé

Sédhiou, 18 juin (APS) – Grâce à la dextérité de Moustapha Kambaye et de ses collègues artisans, le cuir n’est plus un simple résidu d’abattoir. Bien plus, il est devenu une matière noble, porteuse de mémoire, de fierté artisanale et de potentiel économique, quoique peu valorisée dans la région de Sédhiou (sud).

Formé à l’Institut des Arts du Maroc, Moustapha Kambaye parle de la peau avec la précision d’un orfèvre, la passion d’un anthropologue et la colère contenue de citoyen délaissé.

”La peau, c’est l’état brut. Après le tannage, elle devient le cuir. Et c’est ce cuir qui a une valeur sûre’’, explique le technicien des arts.

Selon M. Kambaye, la peau animale, dans sa forme brute, se compose de la poile (ou poils), de la fleur (surface externe), de la courte (fine couche entre la chair et la peau) et de fibres internes qui déterminent la souplesse. Chaque partie a un usage précis, indique-t-il.

La poile peut servir dans la confection de tapis et de vêtements traditionnels. La courte, quant à elle, entre dans des applications artistiques, comme la marqueterie et la création de pièces décoratives, explique-t-il.

Mais, au Sénégal, seule une partie infime de ces ressources est valorisée, confie-t-il. Il déclare par exemple que la poile n’est pas utilisée.

Le cuir brut, au lieu d’être transformé sur place, est exporté, puis réimporté et tanné ailleurs, se désole-t-il. Il en déduit ce paradoxe sénégalais lié au fait d’exporter la matière première et d’importer des rebuts. Pourtant, le Sénégal, pays riche en cheptel, regorge de peaux de moutons, de chèvres, de bœufs, voire de reptiles, fait-il remarquer.

Moustapha Kambaye constate que pendant les périodes de fête, dont celle de Tabaski, les villes sénégalaises sont inondées de cuir brut. Des produits que le pays exporte presque à l’état primitif, déplore-t-il.

‘’Là, c’est malheureux. Nous sommes riches, mais nous achetons nos propres richesses à l’étranger et de moindre qualité’’, s’offusque-t-il encore.

Casamance, un trésor sous les pieds

La Casamance, selon Kambaye, détient une qualité de peau exceptionnelle. Les animaux y sont nourris à base d’herbe naturelle, conférant au cuir une finesse et une robustesse rare.

”Pourtant, faute de politique publique et d’accompagnement, le potentiel régional reste en friche. Ce que nous jetons ici serait une matière de luxe ailleurs”, soutient-il.

Moustapha avait conçu un projet structuré en vue de développer une filière régionale autonome. Dans le schéma qu’il a imaginé, Sédhiou serait un centre de formation pour artisans et tanneurs, Kolda une zone de collecte et de stockage des peaux brutes et Ziguinchor un hub commercial pour les produits finis.

Ce pôle sud est pensé comme une unité de production (UP), capable de concurrencer les importations et de créer des centaines d’emplois durables.

Métier abandonné, culture en déclin

M. Kambaye rappelle que le travail du cuir était autrefois transmis de père en fils. Aujourd’hui, faute d’accompagnement, les jeunes tournent le dos à ce savoir-faire.

Les équipements vétustes, l’absence d’unités de tannerie modernes et le manque de reconnaissance institutionnelle étouffent la filière, constate-t-il.

”J’ai opté d’être artisan et j’y reste. Mais, combien peuvent encore tenir sans soutien ?‘’, s’interroge l’artisan.

Un processus simple et maîtrisable localement

A en croire Kambaye, le processus est pourtant simple et maîtrisable localement. Il consiste notamment en la collecte de peaux fraîches, au tannage en usine moderne pour éviter la putréfaction, à la transformation en cuir de qualité (réduit à 1 cm d’épaisseur) et la fabrication d’objets tels que des sacs, des chaussures, des ceintures, des colliers et des fauteuils.

Il estime que ce circuit pourrait devenir une véritable industrie de souveraineté fondée sur une matière locale, renouvelable et identitaire.

Appel à reconstruire la chaîne de valeur du cuir

L’histoire de Moustapha Kambaye n’est pas qu’un témoignage personnel. C’est une alerte, une proposition, une vision.

Il appelle l’Etat à créer des usines de tannerie régionales, à financer les artisans et à structurer une filière du cuir à la mesure du pays.

‘’Le cuir est la cinquième matière première mondiale. Que manque-t-il au Sénégal pour en faire une force ?’’, demande-t-il.

À l’ombre d’une modeste tente faite d’herbes tressées, Souleymane Niabaly, cordonnier de métier, incarne la résilience silencieuse de centaines d’artisans sénégalais.

Sous cet abri précaire, il coud patiemment des gris-gris et redonne vie à des chaussures usées. 

‘’La peau a une importance capitale dans la vie humaine, mais peu s’en rendent compte’’, affirme-t-il, le regard fixé sur ses outils traditionnels.

Selon Souleymane Niabaly, faute d’infrastructures et de soutien, l’artisanat reste marginalisé. Les outils, aux antipodes de la modernité, sont souvent hérités ou bricolés.

Pourtant, chaque geste, chaque couture, chaque tannage local, raconte une histoire de transmission et d’ingéniosité.

Souleymane et ses pairs collectent eux-mêmes les peaux dans les abattoirs et les traitent selon des techniques ancestrales. ‘’Un savoir-faire menacé d’oubli, faute de valorisation’’, selon lui.

À ses côtés, Djiby Cissé, également artisan, insiste sur la nécessité d’une mobilisation active. Il estime que les artisans sénégalais doivent être accompagnés pour diversifier leurs activités. ‘’Le métier évolue, mais nous sommes laissés à nous-mêmes’’, regrette-t-il.

Il pense que dans un contexte de précarité croissante, la diversification serait vitale, notamment dans le domaine de la confection de sacs, de ceintures, d’articles de maroquinerie, d’objets décoratifs ou culturels, si l’accès aux outils, à la formation et aux marchés avait été facilité.

L’histoire de Cissé illustre la situation de l’économie informelle au Sénégal, riche en compétences mais pauvre parfois en perspectives.

Selon les acteurs rencontrés, valoriser la filière cuir, c’est préserver un patrimoine vivant, tout en créant des emplois stables et des produits à forte identité culturelle.

OB/ASB/OID/SBS/ASG

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