Dakar : les compagnies théâtrales se réinventent pour survivre
Dakar : les compagnies théâtrales se réinventent pour survivre

SENEGAL-THEATRE-REPORTAGE

Par Aïssatou Bâ

Dakar, 25 mars (APS) – Confrontées à une kyrielle de difficultés qui menacent même la survie de certaines d’entre elles, les compagnies théâtrales, très populaires au Sénégal, il y a quelques années, font preuve de résilience à travers diverses productions pour traverser cette mauvaise passe.

De la troupe dramatique du Théâtre national Daniel Sorano, en passant par les compagnies ‘’Kaddu Yarakh’’ (la voix de Yarakh), ‘’Africa United’’, ‘’Beregere’’, ‘’7 Krouss’’, ou encore théâtre ‘’Kër Mandiaye Ndiaye’’, peu sont celles qui continuent de se produire pour assurer la survie du théâtre dans le temps et dans l’espace. Si certains ont fermé boutique faute de moyens, d’autres comme ‘’Kaddu Yarakh’’ continuent de faire leur bonhomme de chemin grâce à leur particularité.

Au centre socio-culturel de Yarakh Tefess, situé dans la commune de Hann Bel-Air, où est logée la compagnie de théâtre forum ‘’Kaddu Yarakh’’, l’équipe de l’APS a rencontré les comédiens et comédiennes en préparation pour les répétitions dans une atmosphère conviviale.

Le directeur artistique, Mamadou Diol, explique que sa troupe pratique ‘’le théâtre-forum’’. Une sorte de théâtre ‘’participatif, que la compagnie arrive à imposer grâce à des représentations fréquentes et régulières sur l’ensemble du territoire’’, précise-t-il.

Ce groupe crée en 1993 a réussi à s’en sortir malgré la conjoncture qui prévaut dans le milieu.

‘’Nous allons nous rendre au mois de juin, à Kisangani (province de la Tshopo, au Nord-Est de la République démocratique du Congo), pour participer à un festival’’, lance-t-il en souriant, comme pour conforter son propos.

Certes, ‘’depuis la Covid-19, les compagnies traversent des difficultés, mais la différence entre nous, c’est que nous faisons du théâtre participatif, qui est actuellement à la mode’’, explique-t-il.

‘’Le théâtre-forum, c’est une forme de théâtre participatif, qui est de l’ordre social. Il est différent du théâtre institutionnel. Il vise à démocratiser la pratique du théâtre, à délocaliser des bâtiments et des villes, où pour y participer, il faut payer’’, explique encore l’initiateur du festival de théâtre-forum ‘’Kaddu Yarakh’’, qui a célébré sa 18ème édition en 2024.

Il souligne qu’avec ce genre de théâtre, l’on peut jouer, par exemple, sous l’arbre avec la même intensité que dans des salles.

Interaction entre public et comédiens

En jouant des pièces de théâtre en wolof pour la plupart, ‘’Kaddu Yarakh’’ permet au citoyen lambda de participer au spectacle en donnant son avis sur une situation quelconque.

Il s’agit, indique-t-il, de faire monter le spectateur sur scène et de lui demander de jouer avec les comédiens, pour montrer comment il réagirait face au sujet développé dans la pièce.

La compagnie travaille sur plusieurs thématiques, notamment la politique, la COP (la Conférence des parties sur le climat), les violences basées sur le genre, l’adaptation au théâtre des contes, les proverbes africains, entre autres.

‘’L’autre niveau, c’est toutes les discussions qui se tiennent dans des assemblées relativement fermées comme à l’Assemblée nationale du Sénégal, etc. Ces deux dernières années, nous avons travaillé sur les discussions que se tiennent durant les COP pour les délocaliser au niveau des quartiers populaires’’, insiste le directeur artistique.

Evoquant la participation des compagnies théâtrales au festival international du théâtre forum Kaddu Yarakh, Mamadou Diol soutient que les choses se passent bien vu le genre de théâtre pratiqué.

‘’Puisque nous ne faisons pas la même chose, il est normal qu’on n’ait pas le même traitement. Nous sommes dans une forme interactive du théâtre qui est maintenant la plus pratiquée dans le monde. Donc, ceux qui sont dans l’institutionnel ou dans le type de théâtre conventionnel, c’est normal qu’ils vivent ces difficultés’’, avance-t-il.

Préparant actuellement la pièce ‘’d’Ali Baba et les quarante voleurs’’, l’un des contes des ‘’Mille et une nuits’’ traduits par Antoine Galland en 1701, le directeur artistique de la compagnie Kaddu Yarakh magnifie leur collaboration avec d’autres troupes de la sous-région.

Trêve de discussion, la troupe commence sa séance de répétition avec la pièce ‘’L’os de Mor Lam’’, un ‘’conte tragique et comique’’ de l’écrivain sénégalais Birago Diop (1906-1989), paru en 1977.

Les comédiens Cheikh Ndiaye, Amadou Coumba et Yacine Diop témoignent avoir tiré une ‘’belle leçon de partage’’ dans cette pièce. Une vertu que Mor Lam, le personnage principal de la pièce, n’avait pas.

Ce dernier étant pingre, refusait de partager sa viande avec son entourage notamment sa femme, son ami ‘’Moussa Mbaye’’, jusqu’à préférer la mort que d’en céder un seul morceau.

‘’Cette pièce de 40 minutes, jouée sur quatre tableaux, met en exergue des valeurs morales telles que le partage, ce qui manquait à Mor Lam. C’est une pièce qui date de longtemps, mais qui est toujours d’actualité’’, indique Yacine Diop.

Selon elle, en écrivant ce livre, Birago Diop voulait parler avec la société, en mettant en exergue le comportement de certaines personnes.

Au CEM Keur Massar 1, Africa United s’impose

Après Yarakh’’, nous nous rendons à Keur Massar, dans la banlieue dakaroise, où nous avons rendez-vous avec une autre compagnie privée : ‘’Africa United’’.

En plein mois de ramadan, des comédiens, des adolescents en majorité, sont en train de répéter dans la cour d’une école. Habillés en uniforme, hauts et pantalons noirs, ces jeunes qui viennent des écoles ou des universités, commencent d’abord par des jeux de mots avant la répétition.

En face de la cour, se trouve une paillote avec des bancs en ciment, où attend Awa Arindor Badji, présidente de la compagnie.

Voilée et habillée d’une robe de couleur saumon imprimée, elle explique que sa compagnie fait plusieurs sortes de théâtres : forum, classique, innovation, etc.

Composée d’une trentaine de membres dont des adolescents, cette troupe, mise en place récemment, ambitionne de représenter le Sénégal partout en Afrique et dans le monde.

Awa Badji, journaliste, comédienne et communicologue, souligne que la troupe prend parfois les films, les romans ou encore l’histoire sur l’esclavage pour les réadapter au théâtre.

Ouverte à tous les profils, la compagnie regroupe en son sein, non seulement des étudiants de l’Ecole nationale des arts, mais également des pharmaciens, sociologues, journalistes, lycéens, commerçants, etc.

D’après elle, le but c’est d’avoir des gens intelligents qui excellent dans leur domaine.

‘’Nous prônons l’excellence, raison pour laquelle nous prenons des jeunes qui sont parfois majors de leur promotion. Avant d’intégrer, la personne doit passer par un entretien, nous cherchons à savoir ce qu’elle fait et pourquoi elle veut intégrer le groupe’’, explique Awa Arindor Badji.

Selon cette journaliste de formation, la compagnie mise sur le ‘’bon’’ résultat de ses comédiens à l’école ou à l’université avant toute intégration. L’intégration dans le groupe n’empêche en rien l’évolution de ces adolescents dans leur milieu scolaire, rassure-t-elle.

‘’Nous faisons nos prestations dans plusieurs langues, notamment en français, en anglais, en wolof, en joola, en peul, etc. Nous racontons parfois l’histoire de l’Afrique et récemment, nous avons fait une prestation à l’IPG sur l’Intelligence artificielle, etc.’’, témoigne-t-elle.

Ce groupe qui répète deux fois dans la semaine, pendant plusieurs heures, mise sur la performance des acteurs durant les prestations.

A l’image des autres troupes théâtrales, ‘’Africa United’’ est également confrontée à des problèmes financiers.

Sa présidente plaide pour la mise en place d’un fonds dédié au théâtre afin d’aider les compagnies à se prendre en charge.

”(…) nos prestations nous permettent seulement d’assurer le transport, d’acheter des tenues, etc. Nous sollicitons un accompagnement de l’Etat, notamment du ministère de la Culture, à travers la mise en place d’un fonds dédié au théâtre, pour nous permettre de bien fonctionner’’, fait-elle valoir, avant de souligner leur détermination à tenir bon, malgré les difficultés.

Le directeur artistique, Ernest Yato, a de son côté fait savoir que la compagnie reste ‘’très regardante sur le comportement de chaque membre’’.

A l’en croire, les parents les sollicitent souvent pour ramener à l’ordre certains adolescents dont le comportement laisse à désirer.

‘’On instaure un climat qui impose le respect mutuel, car évoluer avec les enfants n’est pas du tout facile. Et pour les sorties ou les tournées, nous demandons toujours l’autorisation parentale et parfois de l’école’’, révèle-t-il. Il ajoute que tout se fait de manière ‘’visible et responsable’’.

Magnifiant la bonne cohabitation entre les comédiens, il a insisté sur l’acceptation mutuelle et le respect de tout un chacun de pratiquer sa religion.

Un bonnet marron sur la tête, Soda Fall, une dame de teint noir, fait partie des comédiens de la troupe. L’étudiante en L1 sociologie, à l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane, insiste sur l’importance du travail de la troupe. D’après elle, le théâtre leur permet d’éduquer le citoyen lambda à travers leur voix.

‘’Depuis ma tendre enfance, j’ai toujours voulu être la voix des sans voix, raison pour laquelle j’ai choisi de faire le théâtre’’, lance l’artiste.

Soda Fall revient sur le ‘’d’Africa United’’ donné à la compagnie. Il renvoie à l’union entre plusieurs personnes, prêtes à tout pour apporter une touche à l’Afrique à travers un retour sur son histoire, l’éveil des consciences, mais également l’éducation des jeunes, explique-t-elle.

Bienvenue ‘’au pays où l’on ne meurt jamais’’

Au centre culturel italien, se produit la compagnie théâtrale ‘’Théâtre Kër Mandiaye Ndiaye’’, du nom de son fondateur décédé en 2014.

En tournée au Sénégal (du 18 au 22 février dernier), cette compagnie qui comptabilise 40 ans d’existence a été reprise par le fils du fondateur, Moussa Ndiaye.

Basée en Italie, cette troupe composée essentiellement de Sénégalais, présente un spectacle intitulé : ‘’Le pays où l’on ne meurt jamais’’.

Présentée devant des spectateurs jeunes et adultes européens vivant au Sénégal, cette pièce de plus de 40 minutes, tirée d’un conte italien, raconte l’histoire d’une ‘’jeune européenne’’ qui, refusant d’accepter la mort, décide d’entreprendre un voyage vers ‘’le pays où l’on ne meurt jamais’’.

Quatre protagonistes livrent ce spectacle participatif devant un public très attentif. Joué en wolof, en français et en italien, le spectacle se veut ‘’participatif’’, selon le président du groupe.

Des comédiens habillés en wax, une italienne entrant en scène pour trouver sa voie et un conteur racontant l’histoire : le décor est planté pour emmener le public ‘’au pays où l’on ne meurt jamais’’.

Silence dans la cour, une voix résonne à travers un baffle un peu défaillant. Il s’agit de la voix du conteur et comédien Moussa Ndiaye.

Plongé dans un rêve au moment où il lisait la fable italienne dénommée le ‘’Calvino’’, Moussa voit une jeune européenne. ‘’C’est de-là que l’histoire est partie’’, précise-t-il.

La jeune européenne se posant la question sur ce monde en destruction, décide de se rendre dans ‘’un pays où l’on ne meurt jamais’’.

Elle traverse le paysage africain, rencontre des sages à qui elle demande comment faire pour avoir la longévité.

‘’Trouvant ce pays, elle finit par s’en lasser des siècles après. Elle a demandé à quitter pour revoir sa famille qui était déjà morte et elle finit par mourir’’, raconte-t-il.

Enthousiaste, le public, notamment des enfants, participe au jeu, pour rendre ce moment plus agréable.

Pour Moussa Ndiaye, la leçon à tirer de cette fable est que la ‘’mort existe’’. D’où son appel à ne pas en avoir peur.

Le ‘’théâtre Kër Mandiaye Ndiaye’’ est l’une des rares troupes théâtrales sénégalaises évoluant en Europe.

Moussa Ndiaye rappelle qu’après la mort de son père, le fondateur du groupe, il a voulu prendre le relai pour continuer ce dialogue italo-sénégalais. Il indique que les créations sont conçues à partir des histoires européennes et africaines.

Ici, l’idée serait de vendre la culture africaine en Europe et de créer un dialogue entre les deux continents.

La troupe bouge à tout moment pour rencontrer d’autres réalités et faire des échanges de renforcement de capacités, fait-il savoir. Hormis les acteurs résidant en Italie, la troupe dispose également sur place d’une vingtaine de comédiens qui les accompagnent.

Ayant participé à des festivals en France et en Italie, le président de la troupe déplore l’absence de vitrine susceptible de valoriser leur création au Sénégal.

Le pays de Douta Seck [comédien sénégalais, 1919-1991] organisait jadis des festivals internationaux de théâtre à l’image du Festival international ‘’Théâtre pour la paix’’, dénommé ‘’FEST’ART’’ et initié par le défunt directeur et metteur en scène de la compagnie ‘’Les Gueules Tapées’’, Macodou Mbengue.

Le Festival interscolaire de théâtre, le Festival international du théâtre forum Kaddu Yarakh, Le festival du théâtre et du rire de Kaolack faisaient aussi partie de ces évènements.

AMN/FKS/HB/OID/ASG

 

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