SENEGAL-EDUCATION-PORTRAIT
Par Cheikh Tidiane Sarr
Kaffrine, 1 avril (APS) – Babacar Senghor, professeur de géographie au lycée de Mabo, dans la région de Kaffrine (centre), s’est imposé comme un acteur de changement social clé dans le Ndoucoumane, de par son engagement contre les grossesses précoces, un phénomène qui impacte négativement la scolarisation des filles.
Senghor est un enseignant pas comme les autres à Mabo, commune rurale du département de Birkelane où cet enseignant quadragénaire est en service depuis 2005. Il y est connu pour être un promoteur acharné de l’éducation par les pairs (EPP).
Cette approche éducationnelle sollicite des pairs pour transmettre de l’information et mettre en avant des types de comportements et des valeurs, dans le but d’améliorer l’apprentissage social et de fournir un soutien psychosocial.
L’EPP en santé sexuelle, en particulier, prépare les jeunes à devenir des acteurs de leur propre éducation, dans le but de favoriser leur autonomisation.
Dans le cas de Babacar Senghor, l’éducation par les pairs fait le lien entre l’école et un engagement communautaire primordial à ses yeux, dans le cadre de la lutte contre les grossesses précoces, véritable péril sur ces terres traditionnelles du Ndoucoumane.
Son investissement en faveur de la protection des droits des enfants plus globalement est parti d’un constat proprement désarmant pour un enseignant, celui de la prolifération des mariages et grossesses précoces dans cette zone.
Un sujet tabou dans ces contrées, un phénomène surtout dont les conséquences néfastes sur la scolarisation des jeunes filles se traduisent par la multiplication des échecs ou abandons scolaires un peu partout dans la région.
Une dizaine d’années après son arrivée à Mabo, avec l’appui de l’ONG World Vision, il met en place un club des pairs éducateurs afin d’encadrer, former et préparer des futurs leaders, convaincu que son statut d’enseignant doit l’inciter à contribuer au changemaking.
L’enseignant est désormais cité parmi les personnalités les plus influentes de l’arrondissement de Mabo et même du département de Birkelane. Ce qui ne semble pas pourtant monter à la tête de ce quadragénaire originaire de la région de Fatick, qui a grandi à Ndorong Sérère, un village de la commune de Diagane Barka, dans le département de Foundiougne.
Babacar accueille le visiteur en toute décontraction, vêtu simplement d’un tee-shirt rouge et d’un jean noir. « Je suis issue d’une famille modeste mais j’ai toujours eu comme défi de participer au développement de ma communauté », dit Senghor, casquette bien ajustée et qui ne quitte quasiment jamais ses lunettes de soleil.
”Lorsqu’on m’a affecté à Mabo, j’ai constaté que beaucoup de jeunes filles tombaient enceinte, d’autres étaient données en mariage à un âge précoce. Des élèves décédaient même des suites d’une grossesse précoce”, rappelle l’enseignant.
Il se disait qu’il fallait faire quelque chose. D’où son engagement à ”porter le combat de la sensibilisation et de la conscientisation des jeunes enfants”, dans lequel il a reçu l’appui de l’ONG World Vision.
Permettre aux jeunes d’apprendre par les jeunes
Avec le lancement d’un club des pairs éducateurs à Mabo, en 2016, il s’agissait ”surtout de favoriser la participation des enfants à la protection et la promotion de leurs droits par le plaidoyer, la sensibilisation”, explique-t-il.
Les jeunes formés devaient à leur tour dupliquer dans les communautés les plus reculées les messages de sensibilisation, de manière à ce que les enfants deviennent les acteurs de leur propre protection et des agents de changement.
Babacar Senghor a contribué à former, de cette manière, plusieurs générations d’élèves devenus de grands leaders, d’autres ont pu même continuer leurs études à l’étranger. Il parle de quelque 150 jeunes formés directement par le club des pairs éducateurs de Mabo depuis sa création. Sans compter tous les autres élèves ayant pu bénéficier indirectement de modules incluant le leadership, le développement personnel et la prise de parole.
Sont également pris en compte, des domaines tels que les droits de l’enfance, le civisme et la citoyenneté ou encore la promotion des droits des femmes.
Depuis la première cohorte de jeunes formés en 2016, le lycée de Mabo est devenu ”la locomotive de l’excellence” de l’académie de Kaffrine, notamment dans les concours miss math, miss sciences, se félicite Babacar Senghor. Il a également fait état d’une augmentation du taux d’accès et de maintien des filles l’école.
L’enseignant devenu acteur de développement par la force des choses mesure non sans satisfaction le chemin qu’il a parcouru, malgré un emploi du temps chargé avec lequel il a appris à jongler intelligemment, entre les obligations professionnelles et les réunions toujours prolongées avec les autorités locales et partenaires.
”Ce n’est pas facile d’être professeur de lycée et acteur de développement […], je suis sollicité par mes supérieurs hiérarchiques […] mais aussi par les partenaires, qui ont parfois besoin de mon accompagnement dans le cadre de la participation et de la formation des enfants”, commente-t-il.
Malgré les tentatives de diabolisation du club par certains parents mus par leurs positions conservatrices, l’enseignant, par ailleurs membre du comité départemental de protection de l’enfant (CDPE) en charge de la formation, n’a jamais baissé les bras.
”Parfois, confesse-t-il, nous sommes confrontés à de nombreuses menaces, car il y a des dossiers comme les cas de grossesses précoces qui atterrissent devant la justice, mais nous restons fermes et intransigeants, convaincus qu’il faut absolument abandonner les pratiques comme les mariages précoces”.
Il reçoit régulièrement à Mabo des partenaires étrangers dont des allemands, des anglais ou américains, qui viennent s’enquérir de l’expérience de changement social dont il est le catalyseur.
L’audience internationale des pairs éducateurs de Mabo
Les programmes de l’ONG World Vision ayant été clôturés dans la région, les différentes organisations spécialisées dans la protection de l’enfance ont réussi à monter une structure faîtière assurant la transition, la durabilité et la pérennisation des acquis.
Senghor a été porté à la tête de la nouvelle structure dénommée Fédération des organisations communautaires de base pour le développement de l’arrondissement de Mabo (FODAM), Celle-ci devrait étrenner très bientôt son nouveau siège dont la construction et l’équipement ont nécessité la mobilisation de 29 millions de francs CFA grâce à l’appui des partenaires.
En septembre dernier, il a été invité aux Etats-Unis pour un partage d’expériences et de pratiques pédagogiques dans le cadre d’un projet appelé Global Classroom Project (GCP).
Ce projet porte sur des échanges virtuels et physiques entre des enseignants américains de Fairfax, une ville de l’Etat de Virginie, et certains de leurs homologues sénégalais dont ceux du lycée de Mabo.
Le séjour américain de Babacar Senghor lui a donné l’opportunité de présenter le club des pairs éducateurs de Mabo. « Les enseignants et élèves américains étaient très admiratifs de l’engagement communautaire des jeunes de Mabo », rapporte le professeur de géographie, avant d’évoquer les retombées de sa visite aux Etats-Unis.
Il affirme notamment qu’un club international du lycée de Blacksburg (Virginie), qui s’active dans le social, veut être connecté au club des pairs éducateurs de Mabo.
Les membres de ce club ont même échangé virtuellement avec Mariama Diawo, l’une des jeunes filles membre du club des pairs éducateurs de Mabo, s’est réjoui Babacar Senghor, décidé à s’investir plus que jamais pour mieux vulgariser le concept qui lui a valu tant de reconnaissance et de satisfaction.
CTS/MF/BK/ADC/ADL