Par Oumar BaldéSédhiou, 22 août (APS) – La ville de Sédhiou va vivre pendant un mois au rythme du ‘’juju bakafoo’’ qui marque la fin de l’initiation des jeunes garçons circoncis chez les Mandingues de cette partie méridionale du pays, avec comme point d’orgue la sortie du kankurang, un initié arborant un masque fait d’écorces rouges et de fibres.‘’Cet événement est un rituel qui marque le passage de l’enfance à l’âge adulte et organisé à l’occasion de la sortie de circoncision des garçons âgés le plus souvent de 5 à 10 ans. (…) cette cérémonie coïncide avec la guérison de ces jeunes circoncis’’, explique Mamadou Diaité, le coordonnateur du “juju bakafoo” du quartier Mansacounda.M. Diaité souligne que “le but recherché est d’assurer la transmission et l’enseignement d’un ensemble complexe de savoir-faire et de pratiques, qui constituent le fondement de l’identité culturelle mandingue en garantissant l’ordre, la justice, et conjurer aussi les mauvais esprits”.A Sédhiou, les vacances scolaires riment aussi avec le ‘’jambadong’’, la danse des feuilles. Pendant soixante jours, de début août à fin septembre, les populations assistent de temps à autre à ce spectacle qu’accompagnent avec enthousiasme et virtuosité des batteurs de tam-tam. Et le rythme n’en est que plus endiablé lorsqu’il est accompagné du kankurang, cet être mythique des provinces mandingues de la Casamance, de la Gambie et de la Guinée-Bissau.Autrefois interdit pour des raisons de sécurité, le kankurang a aujourd’hui repris ses droits dans les cérémonies traditionnelles avec l’autorisation du préfet du département de Sédhiou, explique Mamadou Diaité.Habillé de fibres et d’écorces d’arbres et tenant deux coupe-coupe, le kankurang fait en réalité office de gardien des traditions. Très redouté par les femmes, il fait des aller et retours entre le groupe des circoncis et des danseurs. Il est toujours entouré d’anciens initiés et de villageois qui observent avec respect ses faits et gestes, et l’accompagnent de leurs chants et danses en poussant des cris, confie le coordonnateur du ‘juju bakafoo’’.Le rituel qui s’est étendu à d’autres communautés et groupes de la région, est l’occasion pour les jeunes circoncis d’apprendre les règles de comportement qui garantissent le savoir-vivre dans la société, le civisme, la citoyenneté, la cohésion du groupe, les secrets des plantes et leurs vertus médicinales ou les techniques de chasse, indique-t-il.‘’La tradition connaît un recul en raison de la rapidité de l’urbanisation de la plupart des régions du Sénégal et de la réduction des surfaces des forêts sacrées, transformées en terres agricoles. C’est pourquoi le rituel s’en trouve banalisé, minant l’autorité du kankurang”, déplore-t-il.Acteur culturel, M. Diaité souligne que ‘’c’est un moment de joie que parents, amis et alliés en général viennent partager avec les familles des jeunes circoncis”. “Du lieu de lavage des initiés à environ deux kilomètres du centre-ville à leur demeure, ce sont de petits groupes d’hommes qui entonnent des chansons initiatiques accompagnées de pas de danse bien mesurés avec à la main des feuilles d’arbre +jambo+’’, dit-il.“Ces jeunes circoncis, leurs initiés, ‘’kintang’’ en mandingue, et les parents qui viennent assister à la fête sont tous protégés par un être surnaturel, le kankurang’’, explique-t-il.Le kankurang, patrimoine immatériel de l’humanité en 2005Le kankurang, vénéré par les populations mandingues, a été élevé en 2005 au rang de patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, en vue de contribuer à sa valorisation. ‘’Le personnage central du kankurang est un initié qui porte un masque fait d’écorces et de fibres rouges d’un arbre appelé +Faara+. Il est vêtu de feuilles et son corps est peint de teintures végétales’’, indique Ibrahima Solo Sy, vice-coordonnateur du juju bakafoo.‘’La désignation de l’initié qui portera le masque et son investiture par les anciens, sa retraite dans la forêt avec les initiés, les veillées et processions dans le hameau des nouveaux initiés marquent le courage de cet être mythique dans les provinces mandingues de la Gambie, en passant par la Casamance et la Guinée-Bissau’’, ajoute M. Sy.Il souligne que ‘’le kankurang, très craint, parcourt les rues pour protéger les jeunes circoncis durant leur séjour dans les bois sacrés ou dans la case de l’homme’’. Selon lui, ‘’il joue aussi un rôle de régulation et de préservation des valeurs sociales’’.“Le kankurang, dans ses formes actuelles, serait originaire de l’ancien royaume du Gaabu. Sa sortie est uniquement réservée aux périodes de circoncision et au bois sacré selon la tradition”, explique le vice-coordonnateur du juju bakafoo qui précise que ‘’la saison des pluies ou les grandes vacances sont souvent des périodes de sortie du kankurang en Casamance, avec le jambadong, la danse des feuilles’’.Amadou Lèye Sarr dit Conseil Sarr, acteur culturel, souligne que ‘’le kankurang est un être mystique qui joue un rôle de protecteur, gardien des valeurs et régulateur des conventions sociales’’. “Étant un gardien des traditions, redouté par les femmes, le kankurang fait des va-et-vient entre les circoncis et le reste de la communauté durant tout le séjour des enfants circoncis dans la case des hommes’’, indique M. Lèye, par ailleurs artiste, membre de l’UCAS jazz band de Sédhiou.Selon lui, ‘’pour restaurer cette valeur de protection et de régulateur social, tous les acteurs se sont réunis pour encadrer la sortie de cet être mystique. Ce qui a permis la mise en place d’un comité local en charge de la gestion du kankurang au niveau régional’’.OB/ASB/ASG/ADC
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