Dakar, 6 oct (APS) – Les arbres tutélaires, au-delà de leur valeur de totem, jouaient un rôle important comme espace de socialisation dans les terroirs traditionnels, analysent les conteurs Massamba Guèye et Babacar Ndaak Mbaye.

« Les arbres tutélaires plantés par les ancêtres fondateurs avaient une valeur symbolique et totémique », a dit M. Guèye, chercheur, conteur et écrivain.

Selon lui, les arbres tutélaires étaient en même temps des lieux de convergences et de rencontres en milieu traditionnel sénégalais.

« Les espaces étaient symbolisés par les arbres, parce que lorsqu’on construisait une maison ou aménageait un lieu, la première chose qu’on mettait en place, c’était un arbre », a-t-il expliqué.

A l’époque, fait savoir le conteur et professeur de lettres modernes, planter un arbre équivalait à « marquer l’appartenance, l’arrivée et l’installation d’une communauté ».

« Cela signifiait qu’on y avait fait quelque chose qui nous appartenait, cet arbre était au milieu du village et beaucoup de choses s’y passaient : décisions [importantes], cérémonies de circoncision… », a rappelé Massamba Guèye.

Une ‘’représentation mystique’’

Ces arbres équivalent à des lieux de rassemblement tels que le Grand Théâtre national de Dakar ou le Théâtre national Daniel-Sorano, selon M. Guèye.

Il a donné l’exemple du tamarinier situé sur la route de Mbadane (centre), « daaxaar ga thia yoonou Mbadane », dans la commune de Fissel, en insistant sur la « représentation mystique » qui s’attache à cet arbre rendu célèbre par le chanteur Youssou Ndour.

« On parle de cette représentation mystique, mais ce qui le rend célèbre et qui a donné cette chanson », c’est exactement un « évènement politique » de 1977, a précisé M. Guèye.

Cet événement a coïncidé avec la vente de cartes de membre en vue du renouvellement de la section locale du Parti socialiste, qui était au pouvoir au Sénégal.

Ces affrontements avaient engendré la mort de Ndom Diouf, tué d’un coup de couteau dans le dos, et de nombreux blessés avaient été dénombrés. Dix-huit personnes au moins avaient été interpellées par les forces de l’ordre.

« On dit que personne n’a le courage d’aller à l’arbre se trouvant sur la route de Mbadane pour exprimer l’idée qu’il y a un dangereux combat à mener. Les gens ont donné au tamarinier en question cet aspect mystérieux », explique le professeur de lettres modernes.« C’est [cet événement politique] qui a rendu le tamarinier célèbre. Mais dans la représentation populaire, les gens croient qu’on a peur d’y aller parce que c’est le lieu d’habitation des djinns », a précisé Massamba Guèye.

Selon le conteur, c’est ce procédé qui ajoute une dimension mystérieuse à des faits réels. « C’est pourquoi on parle de traitement épique de faits historiques », relève M. Guèye, soulignant que dans ce cas, tout part de faits historiques, mais la version populaire leur donne « un traitement épique ».

« En réalité, c’est vraiment cet incident politique qui est à l’origine de cette chanson » reprise par Youssou Ndour « comme un air populaire », sauf que le musicien a fait cette chanson « pour évoquer cet incident politique ».

Une « fonction symbolique, spirituelle et mystique »

Ce tamarinier de la route de Mbadane, « Gouye Diouly » à Saint-Louis (nord), le fromager de Djimbéring (sud), le baobab de Ngati (centre), tous ces arbres sont « investis par le mystique », soutient de son côté le conteur Babacar Ndaak Mbaye.

M. Mbaye relève « la fonction symbolique, spirituelle et mystique » de ces arbres – tamariniers, fromagers, etc. -, le baobab en particulier étant considéré comme « symbole de notre spiritualité et symbole du Sénégal ».

Le fromager, dit-il, « est le symbole d’une grande femme et d’un grand homme. Lorsqu’on vous dit que vous êtes comme le fromager, sachez que cela fait référence à votre grandeur », explique Babacar Ndaak Mbaye, président de l’Association des conteurs du Sénégal.

Selon lui, le poète et écrivain Serigne Moussa Ka en avait dénombré 33 dans le Cayor, l’actuelle région de Thiès (ouest).

FKS/ASB/BK/ESF

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